16 janvier 2025

La mer secrète



Janvier s'étirera, aussi vite que les autres mois, et les jours auront bientôt volé des tas de minutes à la nuit. C'est toujours vers cette période, là au coeur de l'hiver,  que la mer se met à m'appeler, doucement, comme une plainte furtive au fond de la nuit. Celle qui vous tire du lit.

Mon enfance niçoise aimait la mer secrète sans les touristes,  les premiers jaillissements des mimosas qui frissonnent, poudrant de jaune les collines, et les narines des enfants qui enfouissent leurs nez dans ces boules de soleil pour s'enivrer de leur parfum.
On trempait juste le bout des orteils dans l'eau revigorante, et on tremblait de plaisir. Des fous se donnaient rendez-vous pour des bains d'hiver, et en ressortaient délicatement violacés du haut jusques z'en bas. Des fadas.
Mais la mer en hiver, c'est avant tout une ambiance. Particulière. Inimitable. 
Des plages encore vides. Des terrasses de café déjà pleines, où l'on se prélasse pour capter les premiers rayons. Alors que la saison serait plutôt aux sports de glisse sur neige, moi j'ai toujours irrésistiblement envie de me lover dans une anse sableuse, à écouter le clapotis de l'eau sur les pointus. Les amoureux de la mer savent bien qu'elle est plus belle quand le silence la nimbe de mystère. Quand le soleil l'éclaire de manière oblique. Les voiles blanches prennent des allures de tableaux à l'acrylique. Chaque goéland semble posséder l'espace sonore à lui seul. On marche sur le sable mouillé, on ramasse un coquillage, le regard perdu vers l'horizon brumeux. On est seul. On est bien.
De là à dire que je n'aime pas la foule, il n'y a qu'un pas, que je franchis allègrement. Je n'aime pas les plages bondées où l'on tente de deviner la couleur du sable sous les milliers de serviettes bigarrées. 
Et pourtant... A une époque, l'été, la plage était moins fréquentée le matin, et le soir. A huit heures on était les rois du monde. A dix-huit heures, ça commençait à se vider.
J'aimais le mélange des odeurs sur la plage : effluves d'ambre solaire, de monoï, de varech et de pralines grillées au caramel. Les fameux chouchoux de notre enfance... La mélopée des vendeurs à la sauvette : « Chouchoux ! Boissons fraîches ! Beignets aux pommes ! Ils sont là les bons chouchoux ! » 
J'aimais les cris, étouffés par le ressac, des enfants qui jouaient au jokari ou qui construisaient d'improbables châteaux forts, cernés de douves à l'eau de mer. 
Le bourdonnement d'une vedette, au large, suivie d'un long ruban d'écume. Le claquement du drapeau de baignade sous la brise. Vert ? Jaune ? Rouge ? Sa couleur donnait le ton de la journée. 
La nonchalance des maîtres nageurs aux torses dorés et au sourire étincelant. Des éclats de rire. Et ces vieux Niçois, basanés comme des loups de mer,  assis en cercle sur leurs pliants, formant une île n'appartenant qu'à eux. Que se racontaient-ils ?
Les bisous mouillés de mes enfants qui posaient, comme un trophée, sur mon ventre brûlant une coquille froide : je faisais un bond !
Les glapissements d'une bande d'adolescents jouant au beach volley dans de grandes gerbes de sable. Enfin, quand je parle de sable, il fallait aller le chercher à Villefranche. 
Parce qu'à Nice, c'étaient les fameux galets, si peu confortables pour les pieds et le reste... 
Je n'oubliais pas mon matelas. Dans le demi-coma d'une sieste au soleil, bien abritée sous un  grand chapeau de paille, flottant dans la béatitude d'un foetus dans son amnios, je me sentais  à la fois dans et en dehors de la vie. Une vraie chatte de Schrödinger des rivages...

Après le quinze août, la plage redevenait vivable.
De nos jours, c'est le métro aux heures de pointe tout le temps, du quinze mai au quinze septembre. 
C'est sûrement pour cela que je n'aime plus Nice qu'en hiver. 
Au mois d'août, j'irai rêver devant les belles étendues sauvages et ondulantes d'Hardelot ou de Malo Bray Dunes. La mer comme je l'aime.
A moins que Bleck ne me fasse découvrir le Grand Crohot...


Hardelot 16 août 2021

Clin d'oeil pour Julie : mon frérot et sa chérie
à Hardelot, le même jour.

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La mer secrète.


Quand nul ne la regarde,

La mer n’est plus la mer,

Elle est ce que nous sommes

Lorsque nul ne nous voit.

Elle a d’autres poissons,

D’autres vagues aussi.

C’est la mer pour la mer

Et pour ceux qui en rêvent

Comme je fais ici.


Jules Supervielle


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