23 novembre 2010

Les mots

Les mots sont comme des bêtes sauvages, évoluant dans un jardin étonnant.Au début de notre vie, ils s'ébattent en toute tranquillité dans des champs sémantiques inconnus, fascinants,comme des chevaux dans des prés de luzerne fraîche, et il nous faudra de nombreuses années pour nous les approprier.  Il y a des mots légers et chatoyants comme des papillons, des mots étranges comme ces iguanes placides et pourtant inquiétants qui nous regardent sans nous voir, des mots tellement familiers qu'ils ronronnent comme de vieux chats à nos oreilles blasées.
Il y a des mots lourds, pesants comme des pachydermes, des mots subtils filant comme des phalènes, des mots fugaces comme des éphémères se brûlant à une flamme, des mots caressants  comme des faons, des mots piquants comme des oursins.
 Les plus beaux possèdent cette âpreté des fauves languissants, et ne se laissent pas dompter facilement. 
Les dompteurs de mots se nomment les écrivains. Ils attrapent au lasso des mots fous comme des bateaux ivres, des mots  durs comme des nausées, des mots forts comme leur colère. Ils les assemblent avec un art consommé et  édifient des chefs-d'œuvre de leur mariage subtil.
Certains vont dénicher les mots rares et les punaisent dans des boîtes sentant la naphtaline sur lesquelles ils écrivent "obsolètes",  d'autres pêchent les mots nouveaux comme des organismes génétiquement modifiés, sur lesquels l'on jette des regards soupçonneux. Le  dictionnaire est le bottin mondain des mots. 
De jolis mots au charme ancien tombent en disgrâce, pendant que l'on fait des gorges chaudes de certains autres devenus subitement au goût du jour. On s'en gargarise, on les galvaude, on les prononce jusqu'au dégoût et puis on les jette.
Certains n'ont pas voix au chapitre, les gardiens du temple les refoulent sur le parvis des néologismes, des barbarismes, des idiotismes. Une cour des miracles hétéroclite et méchamment accoutrée, une assemblée de bêtes puantes et claudicantes.

Dans cette Tour de Babel, ce capharnaüm d'êtres délétères ou inoffensifs, on oublie parfois que les mots peuvent blesser, qu'un seul mot bien choisi ou prononcé sans y penser peut délivrer un poison violent capable de détruire une confiance en soi pour longtemps, parfois pour la vie. On a tous souffert d'un mot malheureux, ou d'une parole blessante. Certains mots prononcés tout au long de notre enfance nous ont indélébilement marqués, ou même détruit une part de nous.Heureusement, d'autres nous ont enrichis, aidés, et à jamais construits, qu'ils aient été prononcés par nos parents, nos maîtres où d'illustres inconnus rencontrés par hasard...
Oui, il faut apprendre aux enfants à aimer les mots, à jouer avec eux, à les apprivoiser, mais aussi à se méfier de leur pouvoir, et à laisser vautrés dans leur fange les mots indignes ou ignominieux.
Et surtout, surtout, ne jamais s'en servir comme d'une arme contre plus faible que soi.

20 commentaires:

  1. ton texte me fait penser à la chanson de Léo Ferré « le chien »

    "Des mots oui des mots comme le Nouveau Monde
    Des mots venus de l'autre côté clé la rive
    Des mots tranquilles comme mon chien qui dort
    Des mots chargés des lèvres constellées dans le dictionnaire des
    constellations de mots Des mots oui des mots comme le Nouveau Monde
    Des mots venus de l'autre côté clé la rive" ...
    Des mots tranquilles comme mon chien qui dort
    Des mots chargés des lèvres constellées dans le dictionnaire des
    constellations de mots "
    (...)

    http://www.youtube.com/watch?v=piPxjgHtG38&feature=related

    RépondreSupprimer
  2. Un petit bijou de mots.... croisés. Célestine, tu es une femme de lettres, que tu le veuilles ou non. Je vais m'imprimer ton billet, il est divin.

    RépondreSupprimer
  3. Parles-tu aussi bien que tu n'écris? Bisous.

    RépondreSupprimer
  4. La danse de tes mots est enivrante. J'aimerais trouver ceux qui consolent, ceux qui rassurent, ceux qui disent le bonheur et l'espoir... Des nouvelles de ton manuscrit?

    RépondreSupprimer
  5. Oh les mots,les mots!! j'aime les mots,je les goûte quand je les pense, je les sens quand ils sortent de ma bouche,je les palpe quand je les dis, je les vis dans leur musique, leur dessin et leur signification....
    Quelle belle émotion dans ce que tu écris

    RépondreSupprimer
  6. Oui, les mots sont tels des couteaux : si l'on n'apprend pas à bien s'en servir, cela peu vite devenir coupant !

    Magnifique billet, à faire lire aux plus jeunes... et aux moins jeunes aussi ! :~)

    RépondreSupprimer
  7. ohhhhhh Célestine...
    un billet entièrement consacré aux mots!
    Magnifique...et tu comprendras que je vibre (!)complètement à ce que tu écris là!

    RépondreSupprimer
  8. En tout cas toi tu sais les manier les mots! Je suis toujours pleine d'admiration devant tes textes moi qui ne suis pas toujours très à l'aise avec leur maniement:-)!
    Que veux tu j'étais une scientifique et je le reste:-)!
    Magnifique!

    RépondreSupprimer
  9. les mots dans tous ces états ..que c'est bien écrit!
    pour moi un mot peu etre tendre, dur, blessant..tout depend de l'intonnation qui est donné pour faire vibrer ce mot..
    tres beau texte!

    RépondreSupprimer
  10. Très beau texte...mais ce n'est pas très agréable de le lire sur fond rose. Je te souhaite un bon week-end. Gros bisous de Belgique.

    RépondreSupprimer
  11. ah mes amis,comme vos mots à vous sont doux à mes oreilles!
    ALAIN me comparant à Léo Ferré, c'est beaucoup trop d'honneur, MYOSOTIS qui imprime mon billet, j'en suis rose d'émotion
    ANDIAMO m'applaudit, lui qui manie si bien le verbe...Je rêve d'avoir DAMIEN en face de moi pour qu'il vérifie de lui-même si je suis admissible à l'oral, je rêve d'annoncer à Delphine que mon manuscrit a été retenu par CDL mais pour l'instant pas de nouvelles, il paraît que c'est très long
    MaRIE MADELEINE qui goûte mes mots,TANT BOURRIN qui est un jeu de mots à lui tout seul veut partager mon billet avec jeunes et moins jeunes, quel honneur encore une fois MAMMILOU la scientifique que j'admire à bien des égards, COUMARINE avec qui je vibre depuis si longtemps, CHATAIGNERAIE qui devient une de mes fidèles et toi, mon PETIT BELGE pour qui j'ai remis un fond blanc, juste pour toi...
    ***Voilà, vous m'avez donné la patate pour une longue semaine***
    Célestine

    RépondreSupprimer
  12. Coucou Célestine !
    Au fond, l'histoire du chat, c'est "la vache qui rit" !!!
    Un qui excellait dans le jeu avec les mots, c'est mon regretté Devos, je ne dis pas "notre" car je ne sais pas s'il était aussi le tien ! Ah le pouvoir des mots !!!
    Bisous Célestine et je te souhaite une bonne fin de semaine dans ton clément midi !
    florence

    RépondreSupprimer
  13. Mais que tu nous les présentes bien, ces mots multiples aux teintes sans fin, aux sons de toutes les octaves et instruments...

    Tu les connais, d'ailleurs, pas de doute! Et oui, leur pouvoir est infini aussi, et il faut, avec les mots, expliquer leur force cachée aux enfants!

    RépondreSupprimer
  14. EDMEE tu les connais toi aussi, ces mots si différents et si attachants...
    Bien sûr FLORENCE que Raymond Devos est un de mes maîtres. Il maniait si bien le verbe, c'en était hallucinant...D'ailleurs j'étudie certains de ses textes avec mes élèves.
    Bises *****Célestine****

    RépondreSupprimer
  15. Quel éclatant texte à propos des mots !!
    Et quel n’est notre amour au doux son de cette volupté phrasée !!
    Je ne puis que m’étendre dans ton lit !!!
    Et je jouis….ouiiiiiii !!!
    Oh mots, dit sapiens quand il s’éveilla
    homo dit phobe quand il se découvrit
    ho mots dit gène quand il se reprit
    et mots tifs quand il se les prit et les arracha
    et mots lus ment ? quand il apprit et se paya
    des mots niaqu’un cheveu sur la tête à Mathieu
    des mots dé pour jouer à l’ancienne
    des mots graphiques pour flèches à Cupidon
    des mots lire pour des potes
    des mots cratiques pour faire mal en ce moment
    mots ni teur ni autres choses d’ ailleurs
    mots nocle juste pour voir
    mots nés mais quand ?
    mots no kini c’est du petit anglais qui s’insinue
    mots no gramme pour marquer de sa lourde patte
    mots no pole, c’est pour soi
    mots no corde, c’est sans attaches
    enfin mots no logue c’est sa fin
    Merci Princesse

    RépondreSupprimer
  16. pfiiiuuuu!!!quelle belle envolée, petit âne!
    mais où vas-tu chercher tout ça?
    Je suis impressionnée...
    Bises
    Célestine

    RépondreSupprimer
  17. Ce petit âne gris devrait avoir un blog. C'est notre maître à tous dans la symphonie des mots....

    RépondreSupprimer
  18. Absolument sublime et majestueux ton texte Célestine, sur les mots, je ne le connaissais pas , j’aurais pu en tirer un meilleur poème que le mien chez moi. J’aime cette phrase : « Les plus beaux possèdent cette âpreté des fauves languissants, et ne se laissent pas dompter facilement. » ou cette autre phrase : Certains vont dénicher les mots rares et les punaisent dans des boîtes sentant la naphtaline sur lesquelles ils écrivent "obsolètes".
    Merci magicienne des mots, bises magnifiques la Céleste

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu vois je suis heureuse que tu ne connaisses pas tout mes billets...
      Ainsi, je peux encore te faire quelques surprises... ^^
      merci pour ton plaisir communicatif ^^
      ¸¸.•*¨*• ☆

      Supprimer



Je lis tous vos petits grains de sel. Je n'ai pas toujours le temps de répondre tout de suite. Mais je finis toujours par le faire. Vous êtes mon eau vive, mon rayon de soleil, ma force tranquille.
Merci par avance pour tout ce que vous écrirez.
Merci de faire vivre mes mots par votre écoute.