17 novembre 2025

Brume

 





Certains jours d'automne, la colline s'emmitoufle dans une écharpe de brouillard épais, transformant la maison en bateau isolé au milieu de nulle part. Plus rien n'existe, que ce cocon ouaté propice à l'introspection. 
Le fond du jardin est comme noyé dans une sorte d'incertitude. Les formes familières se muent en fantômes silencieux. C'est étonnant.
Les écureuils savent tout de même trouver leur route vers la mangeoire des oiseaux. Leurs panaches trouent la brume comme des feux follets.
Derrière la vitre, je m'interroge.
On peut aimer la clarté, et apprécier le flou qu'apporte la brume. Cette contradiction révèle en fait de façon tout à fait pertinente ce qui fait mon essence : des aspirations contraires et pourtant cohabitant en moi en toute sérénité, depuis que j'en ai pris pleinement conscience.
J'ai un côté autiste assumé : j'aime la précision, les chiffres, les notes de musique, les petits détails, les énigmes complexes, la logique, les explications qui rendent les choses claires, les rayures du zèbre, les équations, les fractales. Je supporte mal les agressions, sonores, lumineuses, olfactives, verbales, les images violentes, le vacarme, la saleté, le désordre, les entassements aléatoires, les discussions oiseuses. 
Me blottir en moi-même. Etre seule. Détester les gens. Ne voir personne. 
Dans le même temps, j'aime la poésie, l'art, les contacts physiques agréables, le mystère, les nuits sans lune, les nuances, les jeux de mots, le second degré, l'imprévu, la philosophie. 
Sortir. Etre à deux. Aimer les gens. Voir du monde. 
Affronter le réel et le fuir, parfois, dans un réflexe d'auto-protection.
Je suis comme un paysage d'automne. 
Parfois baignée de lumière, parfois empaquetée de brume. 


Jean-Claude et Janine


Mes écureuils vus par Lothar,  un lecteur attentif et attentionné...Merci à lui.


02 novembre 2025

L' Arbre Vagabond

Image : Gier

Petite dystopie en chlorophylle majeure.


Par la magie des coïncidences, j’ai été amenée à visiter, grâce à mon ami Gérard, un de ces lieux qui font du bien, où les nourritures de l’esprit et du corps se mêlent adroitement pour un moment paisible et hors du temps. L’Arbre Vagabond, il s’appelle. C’est une librairie au milieu de nulle part, salon de thé, bar à vin, restaurant, où l’on peut errer librement durant des heures. Niché dans un coin paumé entre la Haute Loire et l’Ardèche, vous savez, là où le bruit et la fureur ne parviennent qu’étouffés, ce genre de bulle de sérénité sertie dans les pâturages gras et la rude pierre de là-bas.

Dans le même temps, chez Gier un autre ami de la toile (aux deux sens du terme, car il est artiste et je ne le connais (pour l’instant) que sur le web) je découvre une série de dessins intitulée L’Arbre Vagabond. 

Cette concomitance m’a donné envie d’écrire une petite histoire pour les (grands) enfants que nous sommes.



***


Cette année-là, certains arbres commencèrent à en avoir ras la ramure de l'engeance avec qui ils partageaient la terre depuis le matin des temps. Maltraités, pollués, acidifiés, abattus, calcinés, débités, dépités, ébranchés, écimés, décimés par cette espèce particulièrement néfaste et obtuse, qui ne comprenait toujours rien, malgré son cerveau prétendument développé.

 Les Z'humains.

Ces arbres aventureux décidèrent de s'arracher pour aller voir ailleurs si l'homme était moins con. Mais quand je dis s'arracher, c'est au sens propre. Vous n'imaginez pas l'énergie qu'il fallut à ces mastodontes pour soulever leur gigantesque motte de terre hors du sol, délicatement en somme, sans mettre à nu leurs racines. D'aucuns auraient parlé d'énergie du désespoir, vous voyez... Tout de suite, le phénomène attira les journalistes, toujours avides de sensationnel, les éminentes sommités scientifiques, les milieux autorisés, le gratin politicard, bref, la routine habituelle en cas d'événement inhabituel. On ne parlait plus que de ça.

Par un système de câbles qualifié d'ingénieux, on attacha vite les végétaux épris de grands espaces. Certains virent là l'occasion d'une belle opération financière, ils placèrent tout autour une clôture électrifiée, une guérite à l'entrée et fondèrent le Parc d'attraction des arbres vagabonds. Ce fut un immense succès.


Cependant les arbres grommelaient dans leur for intérieur, et leur colère silencieuse, ( que l'on aurait pu résumer par « mais ils sont vraiment dingues ou quoi ? » ) leur colère donc, par une connexion subtile qu'aucun scientifique ne s'explique vraiment, se répandit tout autour de la planète, et bientôt, ce furent des dizaines, puis des centaines d'arbres qui s'envolèrent, et conséquemment des centaines de parcs d'attraction qui fleurirent un peu partout. Les businessmen et les géographes de tout poil se frottaient la panse à l'idée de produire encore plus de pognon. 


Mais quand une chose devient banale, elle n'intéresse plus les foules et on laissa peu à peu les arbres à leur lévitation. Ce fut un désastre boursier.

Alors, les arbres décidèrent une bonne fois d'en finir avec l'espèce humaine, et voyant que personne n'avait pris la symbolique de leur mouvement de contestation au sérieux, ils n'eurent aucun mal à casser leurs dérisoires câbles et quittèrent la terre tous en même temps, emmenant avec eux la biodiversité qui fait le miracle de la vie. Ils savaient bien que sans eau, ils ne tiendraient pas très longtemps. Mais quitte à mourir, autant le faire avec panache. Ils formèrent un immense nuage vert, qui entoura la planète d'un halo moussu, devenant un manteau de plus en plus touffu obscurcissant l'atmosphère. En trois jours de nuit noire, une épaisse couche de glace avait tout recouvert. Au bout d'une semaine, tout s'arrêta, figé dans un gel quasi absolu. Les quelques survivants (il en faut toujours dans les dystopies) grelottaient à la recherche de pitance, mais la vie animale et végétale avaient déserté la surface, et les billets de banque avaient un goût de fiel filandreux. Leurs os gelèrent en se brisant comme du petit bois sec. Quant à la mer, complètement prise dans les glaces, elle ne nourrirait plus son homme. De toutes façons, il n'y avait plus d'hommes. L'humanité était toute mourue. Foutue. Disparue. Ratatinue.


Bon débarras ! se dit la Terre, qui ébroua ses hémisphères, étira ses méridiens en baillant, et rappela les arbres un à un par leur petit nom.

Flattés, ils redescendirent doucement et ce ballet fut extraordinaire. La vie triomphait enfin, délivrée de cet éternuement cosmique que l'on appelait les Z'humains.

Seul un vénérable chêne millénaire, qui en avait vu passer des vertes et des bien mûres, bougonnait un petit regret : « Dommage, ils étaient pourtant capables de grandes et belles choses... »



Merci à Gier pour son dessin.