Il me trotte dans la tête deux ou trois réflexions glanées ça et là, et qui , mises bout à bout, m'échauffent sensiblement les lobes des oreilles. (Ce qui n'est pas un pléonasme, vu que le corps humain en comporte plusieurs paires) Il me semble que dans ce monde de zapping, où l'on ne laisse jamais le temps au temps, (voir à ce propos l'excellent billet d'AlainX) la fuite en avant est devenue une règle.
Il faut courir, courir, se presser, se bousculer tout le temps. Et pourquoi, me direz-vous? au nom d'une notion devenue sacro-sainte: la PERFORMANCE.
Il faut être per-for-mant.
Nous voilà sans cesse harcelés par des publicités de peaux élastiques, d'appareils miracles, de petites pilules bleues. Le credo: rester performant, ne pas lâcher l'affaire, ne pas se reposer, ne pas se laisser aller, surtout, à de petits plaisirs coupables, maltraiter son corps pour le rendre plus beau, plus mince, plus musclé, plus fort, plus séduisant.
Dans tous les domaines, il faut rester jeune, compétitif, dans le vent, dans la vague, rapide, efficace, efficient pour parler comme dans les nouveaux arcanes de l'Education Nationale, jamais en mal de barbarismes ronflants.
Le vocabulaire de l'entreprise, de la pub, de l'industrie gagne l'école.
La "pédagogie du résultat" s'installe.
Gagner du temps, gommer les traces du temps, et ne surtout pas perdre son temps.
Ce qui est valable et peut se justifier pour le micro-ondes, (et encore, ce n'est peut-être plus si vrai) devient plus problématique en matière d'éducation.
Gagner du temps?
Oui, d'accord, s'il s'agit pour les profs d'éradiquer des emplois du temps toutes ces pseudo-activités qui n'apportent rien aux élèves et surchargent leurs semaines de choses inutiles. Je pense , par exemple, à une opération intitulée pompeusement "le grand nettoyage de printemps", et qui consiste, sous un prétexte écologique, à utiliser les élèves pour débarrasser certaines zones urbaines de leurs détritus et sacs plastiques en tous genres. Amis de la poésie, bonjour! N'auraient-ils pas mieux à faire devant un texte de Baudelaire?
Autre exemple, la collecte des "pièces jaunes" , autre foutage de gueule qui a fait couler assez d'encre naguère...
Un scandale, alors que la Culture universelle avec un immense C attend les élèves en classe.
Mais...Gagner du temps pour en faire de petits robots, futurs consommateurs lobotomisés et calibrés, en les bourrant de notions sans qu'ils aient le temps de les assimiler vraiment?
Et si l'urgence était alors de prendre son temps?
Et si les enfants avaient le droit de digérer ce qu'on leur enseigne, calmement, au lieu de se sentir pressés comme des citrons, sommés d'apprendre, d'ingurgiter en un minimum de temps, un maximum de choses.
Têtes bien faites, têtes bien pleines, le débat lancé par Montaigne est loin d'être clos. Les enfants n'aiment pas la linéarité des apprentissages, ils progressent par bonds, comme des petites grenouilles. Semblent stagner, mais en réalité absorbent, observent, et soudain, comprennent , et laissent la notion s'installer dans leur tête en un "eureka" joyeux. Quel bonheur pour une maîtresse d'école de voir s'allumer cette petite flamme, et d'entendre le fameux "ah! j'ai compris!" si doux à l'oreille. Mais cela prend du temps, et chacun ne va pas au même rythme. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas être terriblement exigeant avec les élèves. Et répéter, répéter, et répéter encore, et cent fois sur le métier remettre l'ouvrage. Et ne rien laisser passer. Et se battre sur tous les fronts. L'orthographe, la syntaxe, les bases du calcul pour leur donner les clés précieuses de leur liberté future. Mais aussi se battre contre leurs parents qui capitulent, qui baissent les bras, et en font de petits tyrans névrosés et capricieux, incapables de se conformer à une règle.
Parce que l'exigence, l'amour du travail bien fait, le perfectionnisme (quand il n'est pas pathologique) sont tout le contraire de la "performance".
L'exigence, c'est construire un violon de ses mains, en mettant en jeu toutes ses connaissances, son art, son savoir, en enfilant comme des perles de longues heures à caresser le bois, à tordre la matière pour la transformer peu à peu en un instrument magique qui vibrera d'un son unique.
La performance, c'est fabriquer cent violons en batterie, à toute vitesse, au mépris des règles de l'art, mais au prix imbattable. Des violons qui, au final, n'auront pas d'âme.
Quand je regarde mes vingt huit schtroumphs aux yeux pleins de candeur, je me sens l'âme d'un luthier. Un luthier qui cacherait dans son atelier quelques armes, au cas où la révolution se remettrait en marche.
des petits tyrans névrosés et capricieux....tu trouves les mots justes...et j'aime la comparaison avec le luthier..
RépondreSupprimerquant à courir..pour gagner du temps...je cours..mais ..pas juste pour gagner quelques précieuse minutes...mais pour moi...juste pour moi...
Je ne parlais pas, bien sûr, de courir avec des baskets...lol
RépondreSupprimerJ'aime l'idée que mes enfants ont progressé et progressent encore comme des petites grenouilles. Même si j'ai souvent été plutôt demandeuse de "performance" de leur part. Mea culpa.... :-)
RépondreSupprimerje pense que nous devrions tous pouvoir progresser et travailler à "notre main". Belle journée;
RépondreSupprimerCe sont des luthiers tel que toi qui construisent las société de demain.
RépondreSupprimerBisous Cel
Math
j'approuve ce coup de g... ! Merci de ta visite chez moi et c'est un beau projet le carnet de voyage les enfants.
RépondreSupprimerComme tout cela est vrai et bien dit en plus!
RépondreSupprimerla citation de Montaigne est que l'enfant n'est pas un vas qu'on remplit, mais un feu qu'on allume, n'est pas ?
RépondreSupprimertout un programme, en effet; je vois combien tu aimes ton métier, et les enfants dont tu as la charge. Mes enfants (trois filles, ) ont eu la chance, je crois bien d'avoir des enseignants de ta trempe. On ne remercie jamais assez les bons enseignants, d'être si bon luthiers (comparaison merveilleuse, je le confirme).
Excellent billet !
RépondreSupprimerJ'apprécie énormément.
C'est tout à fait ça !
et j'aime BCP la finalité que tu donnes aux exigences des apprentissages et de "tenir" :
"leur donner les clés précieuses de leur liberté future. "
Ca fait du bien de lire ça, toi qui est engagée dans ce beau travail auprès des jeunes têtes !
Comme tu as raison lorsque tu écris "si les enfants avaient le droit de digérer ce qu'on leur enseigne, calmement, au lieu de se sentir pressés comme des citrons"! J'aime ta comparaison avec le luthier, c'est ainsi qu'on fait bien notre si beau métier
RépondreSupprimerIls ont bien de la chance tes petits schtroumpfs de se laisse travailler par un luthier tel que toi. Beau billet et pardonne-moi d'émailler certains de mes billets de barbarismes, à force d'être plongée dedans on s'en imprègne...
RépondreSupprimerJe ne vais pas redire ce que les amis ont dit déjà à propos de ce billet
RépondreSupprimerJ'ai eu le coeur "grandi" en te lisant, c'est dire
Les enfants qui te sont confiés ont de la chance: tu te remets sans cesse en question, leur montrant ainsi le vrai chemin de la liberté intérieure
Merci Célestine
Oh que tu as raison et que tu l'exprimes bien ! Au moment où je lisais ton billet, j'avais mon dernier schtroumph qui finissait une 'investigation' de math, ça ressemble à une composition de math avec recherche à faire, application des connaissances et tu en mets autant que tu veux, de 1 à 15 pages ... il en était à sa dixième page, avec un sourire jusqu'aux oreilles ... Le voir s'éclater à travailler pendant des heures, j'adore !
RépondreSupprimerMS Oui apprendre peut apporter de délicieuses satisfactions, pour peu qu'un professeur sache le démontrer à ses élèves. Mais l'art de la pédagogie n'est pas donné à tout le monde...
RépondreSupprimerCOUMARINE oui, la liberté ne peut être que construite avec des outils forts que je m'efforce de transmettre. Je lutte de toute mes forces pour sauver les quelques âmes que l'on me confie, du désastre d'une société déshumanisée...
DELPHINE je n'ai jamais remarqué chez toi qui ressemble à un barbarisme, tu as une écriture fluide qui me laisse souvent pantoise d'admiration
MARIE MADELEINE dès le premier contact avec ton blog, j'ai su que nous étions de la même trempe.Des fondues de la belle ouvrage. J'espère que le soleil se remet à briller pour toi.
ALAINX un compliment qui me fait rosir de plaisir venant de toi.
SALPIGLOSSIS oui, c'est tout à fait ça, et j'aime allumer ce feu!
MAMMILOU merci, je sais que tu étais toi aussi une de ces institutrices à "vocation" qui a toujours cru à son beau métier. C'est si important!
Izys mes élèves ont été emballés par la présentation que je leur ai faite, avec vidéoprojecteur et internet, ils ont hâte de les commencer ces carnets de voyage. J'ai trouvé aussi de belles choses sur un lien de ton blog "le chevalet de bibi" et pour tout cela je te remercie encore de mettre ton talent et ceux de tes amis à la disposition de tous. J'espère que tu reviendras me voir (ps, j'adore ton pseudo!)
MATH je te dédie tout particulièrement cette comparaison musicale ...va savoir pourquoi...
PATRIARCH ce que tu dis là, c'est la base d'un enseignement qui respecte les rythmes et les capacités de chacun: il n'y a pas de sot métier, et chacun est utile à la société. Ce que nos têtes dirigeantes claffies de rolex et de bling-bling ont tendance à oublier. Mais... "qui vivra verra", disait ma grand mère...
Ne fais pas ton mea culpa, les parents sont souvent légitimement inquiets de la progression de leurs enfants, et exigent d'eux des résultats les meilleurs possibles c'est donc de l'exigence. Cela devient de la performance quand on demande toujours plus à un enfant,y compris l'impossible, au risque de le dégoûter d'apprendre...
Bises à tous
********Célestine******
Superbe Célestine!
RépondreSupprimerL'exigence c'est faire avec son coeur, comme un luthier, ce que l'on veut faire ou que l'on doit faire en le faisant pour s'approcher de la perfection.
Mais le perfection n'est pas de ce monde.
Est-ce que nous nous n'exigeons pas trop par fierté, pour ne pas être déconsidérés?
Ils ont bien de la chance tes "lut(h)eurs" d'avoir un luthier plein d'attention pour eux!
Savoir donner le savoir sans brutalité et de le faire apprécier par ceux qui le recoivent est un don énorme.
Vivre naturellement au gré des horaires naturels et non horlogiques est en passe de disparaître.
Rien de tel que de se ballader et de "perdre" un peu de son temps pour soi sans être performant.
Voir les choses qui nous entourent simplement, respirer avec plaisir un air frais, parfois emprunt de certaines odeurs des bois humides ça détend profondément.
Personne ne nous demande de tout le temps courrir mais nous sommes pris au "jeu".
Mais être fondu dans la nature au point de la découvrir mieux que beaucoup d'autres et ce même armé est un plaisir immense et une décontraction intense.
Est-ce que j'exige la performance de mes enfants? Sûrement (trop dira Delphine;-) assez...
Cependant, j'apprécie tellement de les voir jouer calmement tous ensembles sans se chamailler et sans être performants. :-)
Kiss A
Quand Delphine prend la plume et que je la lis, je suis tout aussi pantois que toi Célestine - Sois rasurée! "Elle m'épate, elle m'épate, elle m'épate." :-)
RépondreSupprimerJ'en viens à me dire que j'ai l'air d'un idiot quand elle fait couler l'encre sans exagération mais avec beaucoup de talent tout en restant simple et surtout humble.
Alors j'écris peu.. mais souvent trop quand je m'y mets!
(Dixit mon intéressée)
Mais pour écrire comme ça il faut être luthier du verbe et ça ne s'apprend pas simplement mais à force d'efforts. La Sorbonne est passée après et avec son talent...
Mais l'art est en chacun de nous!
Kiss
A
Nb : Dis, je ne sais toujours pas ce que tes éléèves ont pensé du texte que tu comptais leur soumettre. Qu'est-ce qu'ils ont dit? Rude épreuve pour eux?
Et comme c'est triste de voir dans les yeux de ses élèves qu'ils n'ont rien compris bien malgré tous les efforts du luthier!
RépondreSupprimerAh, c'est élèves quelles merveilles.
C'est vraiment un magnifique métier que tu fais.
Ce métier fait preuve d'une grande générosité vis-à-vis de l'avenir du monde humain.
Kiss
A
Comme c'est bien dit ! C'est tellement juste !
RépondreSupprimerAlors restons vigilants parce que l'avenir n'est pas rose en matière d'éducation...
Ton texte est plein d'entrain pour ton travail d'enseignante. Mais, si je peux me permettre, deux petites choses où je voudrais donner mon avis. Pour ce qui est de leur faire ramasser les trucs que les indélicats ont jeté : cela peut les inciter à ne pas jeter eux-mêmes ce qui seraient formidable.
RépondreSupprimerQuant aux pièces jaunes, cela a été décrié mais n'empêche que cela a permis de grandes avancées dans les hôpitaux, pour les enfants qui y sont parfois pour longtemps, pour les parents qui leur rendent visite, et d'autres choses. Moi j'envoie un chèque chaque année à l'association de B. Chirac "Les hôpitaux de Paris" où elle a fait bcp de travail. On peut faire ça au lieu de quelques pièces jaunes. C'est encore mieux et cela leur permettra d'avancer plus vite.
C'est parce que c'était dans ton texte que je me suis permis d'y revenir.
Bonne soirée,
Lydia