« Ebony and ivory live together in perfect harmony
Side by side on my piano keyboard, oh Lord, why don't we? »
Paul Mc Cartney
Les voisins de mes parents, à Barcelonnette, étaient des gens de la petite bourgeoisie de province. Un capitaine de l'armée et une femme au foyer. Leur fille s'appelait Catherine et avait le même âge que moi.
Un jour, chez Catherine, je demandai la permission à sa mère de jouer du piano. C'était une dame délicieuse. Et c'était un magnifique piano droit en bois très sombre, orné de deux chandeliers comme celui du tableau de Renoir. Elle dit oui.
Je n'avais jamais vu de piano de ma vie, et pourtant, je me mis à jouer à deux doigts Au clair de la Lune et Ah vous Dirai-je Maman sans une fausse note.
C'était comme si mes doigts trouvaient tous seuls l'enchaînement des touches. J'ai toujours su faire ça, depuis l'enfance. Une espèce de don d'oreille, hélas laissé en friche...
Sa mère fut très impressionnée et alla dire à la mienne qu'il serait bon qu'elle m'inscrivît à un cours de piano. Ma mère refusa tout net. Je n'ai jamais vraiment su pourquoi elle avait fait ce blocage. J'en suis restée à des suppositions qui sont venues longtemps me hanter, papillons noirs d'incompréhensions et de non-dits voletant devant mes yeux, et que je chassais d'une pichenette. Avec un soupir de résignation.
Plus tard, à l'Ecole Normale, après les cours, dans le gymnase, je passais des heures à pianoter sur un vieux bastringue désaccordé qui sonnait comme ceux des westerns. Mais j'adorais ça.
Il a fallu que j'attende l'âge adulte pour m'offrir mon premier piano. (Il sera aussi, sans doute, le dernier)
Nous avons été séparés quelque temps, lui et moi, après mon divorce.
Mais désormais, il est là, dans la Maison de la Colline. Il enchante le quotidien tel un ami fidèle. J'aime caresser ses touches brillantes, et improviser de petits airs au gré de mon humeur.
Tant pis pour ma vocation loupée de soliste internationale. Je n'échangerais pas une carrière même étincelante contre le bonheur de jouer juste pour ceux qui m'aiment. Pour Celui que j'aime. L'amour est le plus beau des métronomes.