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29 août 2022

Un gamin d'Paris

« Ce terrain faisait l’angle de deux rues. Il y poussait un magnifique cerisier qui donnait, chaque année en abondance, des cerises un peu aigrelettes que l’on nomme ici Montmorency, ailleurs c’est peut-être bien des guignes. C’est bon la Montmorency quand, après une chaude journée d’été, encore gorgée de soleil, vous la faites craquer sous la dent, puis en faisant la bouche en cul de poule, vous envoyez valdinguer le noyau dans la tronche du copain ! »
Jean-Louis Ferrera 

(extrait de « Un Gamin de 39 » éditions Librinova-Autres Mondes, 129 p.)








Au cours d'une de mes nombreuses et passionnantes vies, j'ai connu une joyeuse bande de drilles qui sévissaient sur un navire nommé « Blogborygmes ». J'en avais touché deux mots ici. C'était un temps déraisonnable où j'étais sans doute plus Troussecotte que Célestine. 
Dans cet espace irrévérencieux et sulfureux,  je pouvais laisser aller ma plume à des débordements tant sémantiques que lexicaux. Le ton général de l'équipe était léger et souvent coquin, ce qui n'empêchait pas en même temps une belle profondeur, et pas seulement de bonnets.
Tiens en m'y baladant j'ai retrouvé cet article « méridional » que j'avais écrit avec une certaine délectation. 
Bref, c'est à cette époque que je rencontrai Andiamo, vieux loup de mer menant le rafiot avec assurance vers des contrées toujours plus incertaines et infestées de pièges.
Il se trouve que ledit Andiamo, en collaboration étroite avec Françoise Simpère, une auteure talentueuse, vient de rédiger ses mémoires de titi parisien, un petit tour d'horizon savoureux de la vie d'un enfant au lendemain de la guerre. 
Le tout forme un opuscule agréable à lire, que vous trouverez facilement en trois clics adroits, pour la somme astronomique de 4,49 €. Bien situé, le prix, entre un kawa bien serré et une binouze bien fraîche. A vot' bon coeur, m'sieurs dames.
Eh oui, mon poteau fait dans le numérique, comme quoi, on peut dater de l'an quarante et naviguer moderne. Sauf ton respect, mon capitaine ! 
Alors, je compte sur vous, répandez la bonne nouvelle, et mouillez votre chemise, noble aréopage de mes lecteurs chéris, afin de propulser Andiamo sous les feux de la rentrée littéraire. Son livre est drôle et truffé d'anecdotes, il se déguste comme un vieil album photo dégotté dans un grenier.
Même s'il ne vise pas forcément la Pléiade, ce serait dommage de le laisser dans la panade...

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22 août 2022

Ce qui fait sens




« L'amour est une eau fraîche qui coule aux fontaines de l'âme »
Christian Charrière









L'été s'étire comme un chat sur une margelle. Les ombres s'allongent, et les jours commencent à prendre cette somptueuse lumière de septembre si aimée des artistes.
Même l'eau dans la fontaine du village fait un bruit différent, dans le silence de l'après-midi. Un son plus familier, comme un ami qui te salue de loin. Tu reconnais sa voix. Tu l'avais perdue dans le brouhaha de la canicule. 
Le chalumeau céleste s'est arrêté. On revit. Les arbres ont soupiré de soulagement sous les pluies tant attendues. Les forêts meurtries fument encore doucement, comme sur les pentes des volcans. Le soir, on rajoute une petite laine pour réchauffer la peau.

Je peux à nouveau m'installer sur la terrasse et feuilleter le livre de vos vies. Me baladant de blog en blog, je tombe sur cette belle phrase que mon amie Chinou me dédie spécialement. 
« L'amour est une eau fraîche qui coule aux fontaines de l'âme » Quelle jolie attention...
Chinou, c'est mon amie aquarelliste. Je vous l'avais présentée il y a sept ans déjà.
Son dernier billet sur les fontaines, dont elle sait retrouver l'âme dans ses dessins,  m'a rappelé combien je les aime. 
Peut-être parce que j'aime toutes les choses porteuses de symboles. Les choses qui font sens. 
La nature est un temple où de vivants piliers...etc, etc. Correspondances... Le poème de Baudelaire est en moi depuis toujours, oscillant comme un pendule, il a donné un sens à mes perceptions particulières, si difficiles à exprimer, si subtiles, fugaces, et pourtant faisant l'essentiel de mon être. Je suis comme ça. Ma pensée passe d'abord par mes sens.
L'eau. Les arbres. Les blés. Les chevaux. Les étoiles. Voilà quelques exemples d'objets naturels porteurs de symboles, dont la musique chaude, rouge et sonore, entre en résonance avec les mailles serrées de mon cerveau surefficient. Je lis en eux à coeur ouvert.
Parmi les choses humaines, outre les fontaines, comment ne pas penser aux moulins, aux ponts, aux chemins, aux puits, aux portes. Tous ces objets intemporels qui relient, qui rassemblent, qui élèvent, ou qui contribuent à la vie depuis l'aube des temps. 
A vrai dire, la liste est infinie, des choses qui me parlent. On est dans la forêt de symboles chère au poète. 
Quand j'étais enfant, j'avais sans doute déjà cette perception symbolique des choses, puisque j'imaginais toujours la maison de mes rêves de la même façon : il y aurait un escalier, un piano, une bibliothèque et une cheminée. Un amoureux.
Et dans un jardin plein de fleurs, un chat qui s'étire sur une margelle.
Il ne me manque plus que le chat.

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13 août 2022

Les gens







 La maison sur la colline vibre doucement des nombreux passages qui ont émaillé l'été. 
Le bruit reste encore suspendu entre les feuilles, tels des acouphènes légers.  Cris d'enfants sous les arroseurs dans les maïs, sourires et pleurs de bébés, verres qui s'entrechoquent, éclats de rire et de fourchettes. Confidences et confitures. Ami ricoré. Et cette importance des repas, quand on est nombreux, comme si la vie n'était plus rythmée que par la valse des assiettes et des victuailles colorées englouties par des estomacs jamais rassasiés. Des montagnes de melons,  de tomates,  de poulet froid, de sorbets et de basilic. Des rivières de boissons glacées, des stères de pain. Des monceaux de tian de légumes et de salade de riz aux crevettes.

Le calme est revenu. Les cigales arrachent le sec de l'herbe, l'air est tremblant. Le chaud s'est insinué partout. Les après-midi retrouvent la fraîcheur des persiennes closes, on gît sans énergie comme des lions avachis sous leur baobab. Devant quelque épisode de série policière que l'on suit d'un oeil torve.
On repense à tous ces gens qui ont fait de belles escales sous le chêne centenaire. Les amis, les enfants, les cousins, les neveux, les frères et soeurs. Toutes les générations de 3 mois à 99 ans.

C'est fascinant, les gens. Les observer. Creuser leurs particularités, trouver ce qui les meut, ce qui les émeut, et ce qui les laisse indifférents.
Je me régale à étudier les personnalités, affirmée ou en devenir. Avec une passion d'entomologiste. A découvrir, par exemple, comment de jeunes couples pourtant proches peuvent avoir des conceptions  si différentes sur l'éducation. Les écouter échanger, en se gardant d'intervenir. Ou alors juste pour apporter un éclairage différent, discret, tout en nuances, de la part d'une qui a un peu cerné le sujet pendant quarante ans...
Suggérer sans affirmer, proposer sans imposer, car les gens sont chatouilleux quand il s'agit de leur progéniture. 
C'est fascinant, les gens. Un rien fatigant, aussi.
Mais entre deux passages d'oiseaux migrateurs, retrouver la solitude choisie et le silence, la tendre complicité d'un seul être, tel le murmure du ruisseau qui s'enroule sans fin autour d'un galet, c'est un luxe. Et c'est ce luxe qui me fait aimer les gens. 

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01 août 2022

Les lucioles







Les lucioles...Les fées scintillantes de mon enfance. Je n'en ai vu, de toute ma vie, qu'à Saint Martin, dans la tiède douceur des soirs d'été. C'était le temps des tartines, des sources, des bêtes, de l'air qui coulait sur la peau, des genoux graffignés et des cuisses noircies de soleil. 
On dévorait l'enfance.
Le soir, après le repas, mon père tenait à faire son « tour du soir ». On aimait l'accompagner.
C'était un peu toujours les mêmes promenades, en sortant de la maison, on prenait à droite vers Venanson, ou à gauche vers le village. C'était la seule incertitude : à droite ? Ou à gauche ?
Quand on montait vers Venanson, dans l'odeur de résine de la forêt qui tombe de soleil, on s'arrêtait à la Croix, où mon père avait son banc, dans l'ombre bienveillante des pins. De là, il contemplait la nuit nappant le village de brume. Les lumières s'allumaient une à une, et peu à peu, les maisons ressemblaient à ces crèches de Provence blotties dans les églises à Noël. Les montagnes en papier kraft et les santons. Le ciel en manches de nuages ouvrant le soir. L'enfance, encore.
Quand on descendait au village, la route était éclairée par la toute puissance électrique, au niveau des trois maisons, au grand dam de mon paternel qui pestait contre cette maudite lumière de néon qui l'empêchait de voir les étoiles.
Mais après le virage, la route plongeait dans un trou noir. A l'époque, les messieurs des Ponts et Chaussées étaient empreints de sagesse : il ne jugeaient pas judicieux d'éclairer une portion non habitée. C'était un grand bien !
Car dans ce passage aventureux, les lucioles régnaient sur l'été. C'était magique et silencieux. Nous avions interdiction de les attraper. Du haut de mes dix ans, je savourais ce mystère vivant qui pouvait mourir au moindre contact. Ces milliers de clignotants éclairaient la nuit fébrilement. C'était beau. La beauté me serrait la gorge, déjà.

Les lucioles, version ailée des vers luisants, sont hélas en voie de disparition. La dernière fois que j'en ai vu, à Saint Martin, c'était il y a deux ans, chez ma cousine, au bord de l'eau, sous les saules. 
Deux mois plus tard, la rivière emportait tout dans ses flots furieux. Sa maison, les arbres, et l'espoir. Mais les lucioles ?
Peut-être sont-elles toujours là, timides témoins de cette enfance enfuie au goût de miel salé ? J'aimerais bien. Je vous dirai.

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Edit de Mardi 2 août, 17h30

Un joli poème plein de jolies réflexions offert par Chinou.


La Violette, un jour, dit à la Luciole : 
« Ма chère sœur, vous êtes folle
De vouloir éclairer ce brin d’herbe le soir !
A-t-il des yeux pour la lumière ? »

-  « Vous le parfumez la première ! 
Sent-il donc mieux qu'il ne peut voir ?
Des richesses que Dieu nous donne 
Nous ne devons priver personne. 

J'ai la clarté, vous la senteur,
Eh bien! Prodiguons-les, ma sœur, 
Sans demander pour les répandre
Si le brin d’herbe sait comprendre ! »

Alexandre Deplank 1860