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30 octobre 2019

Ancrages




Nous avons notre ancre en nous-mêmes
Victor Hugo






Lions qui posent sur le sol des pattes altières et affirmées. Eléphants qui avancent d'un pas de sénateur comme si la terre entière leur appartenait.
Rampants obséquieux, gazelles tremblantes, fines mouches, souris craintives.
Oiseaux frêles en apparence. Insectes teigneux. Chênes. Roseaux. Lierre et coquelicots.
Derrière ce bestiaire, cette flore, la diversité des êtres humains...
Et le mystère de l'ancrage. Cette force subtile et mystérieuse qui attache les êtres à la terre. A la vie. Qui ne dépend ni du poids ni de la taille. Mais des interactions émotionnelles depuis l'enfance, peut-être même depuis la bulle foetale.
J'ai longtemps eu le sentiment qu'un pan de moi flottait à dix centimètres du sol. L'impression d'être papillon, libellule, funambule voltigeant sur son fil d'Ariane. Et même l'idée que je venais d'une autre étoile. Et paradoxalement, la certitude de couler dès que je n'avais pas pied... 
J'apprends depuis quelques années ce que signifient ces symboles inconscients. Un manque d'ancrage. Une faille béante dans ma construction sensible. 
Le départ de mon père ayant dénoué la seule corde qui me maintenait à quai, je me suis mise à errer comme un esquif abandonné aux tempêtes affectives. Mais bonne nouvelle : ce n'est pas une fatalité irréversible.
Il y a peu, le 19 octobre, (le nombre a une belle signification pour moi, si j'étais superstitieuse, ce serait un peu mon nombre fétiche, vous voyez) j'ai réussi à me mettre en apnée et à m'asseoir au fond de la piscine. Je n'avais jamais fait cela de ma vie. J'ai éprouvé un sentiment immense de paix, de gratitude, d'espoir. Une onde bénéfique effaçant des décennies de crainte et d'angoisse.
Dans mon long processus de reprise de confiance en moi, j'ai touché là une carte maîtresse. Je sens davantage le sol sous mes pas. L'ancrage, c'est la captation sereine des énergies. Celles que je sens circuler dans tout mon être, sans entrave, de mieux en mieux. 
Oh, Céleste ne deviendra pas Babar, certes non. Des événements tragiques comme celui de cet été me feront encore vaciller, et dérègleront encore mon thermostat interne. Mais une force supérieure me pousse à m'affirmer et à m'enraciner un petit peu plus dans la sérénité, chaque jour. Cette force, c'est l'amour. 
Mon ancrage, c'est l'équilibre. Précieux. Irremplaçable et rassurant comme un lever de soleil sur une nuit de fièvre.

22 octobre 2019

Comme un grand frère

Mais belle Hélène la lutte des classes
On sait où ça nous mène hélas.*






J'avais quinze ans et tu étais déjà dans ma vie, tu venais me chercher à la porte du lycée et le soir dans mes cahiers à fines lignes violettes j'écrivais mes premiers feux adolescents en pensant à toi. J'aimais ça.
Alain.  Je me souviens bien de toi, de ta dégaine de jeune homme lunaire, éternellement en jean et baskets, pas très costaud, timide, terriblement romantique. Tu avais peur des filles, non ?... Enfin, tu semblais ne pas être très à l'aise, en tout cas,  avec ces êtres compliqués et difficiles que sont les filles...D'ailleurs je crois bien qu'à vingt ans tu parlais de l'amour 1830.  Tu étais décalé, peut-être un petit peu trop fragile ? J'aimais ça.
Tu avais un pote qui te suivait tout le temps, mais qui restait dans l'ombre, et qui n'en menait pas large non plus, avec ses lunettes de bigleux, sa tignasse et ses chemises improbables. Comment s'appelait-il déjà ? Ah oui, Laurent... Vous étiez inséparables.
Mais c'était toi que je préférais. 
J'ai appris qu'il écrivait ta musique. Toi, tu étais le poète, le faiseur de jolis mots. Vous m'avez donné de beaux frissons, je ne saurais les citer tous... Les jupes des filles, le Bagad de Lann Bihoué, la Rumba dans l'air, l'Amour à la machine... A chaque moment de ma vie tu étais là.
Quelque chose d'indicible me plaît dans ton univers. Un furieux amour tranquille de la vie, une douceur simple et vive à la fois. Une ironie tendre. Un regard. Des instants comme de petits merveilleux fondants sous la langue, de longues plages nimbées de la lumière si particulière du Nord. Des femmes fatales, des losers pathétiques, des références prestigieuses, Théodore, Somerset Maugham, Lennon, Ava Gardner, Debussy, Gabriel Fauré... 
J'aime ça.
En écoutant ton dernier disque, je me suis dit que tu étais vraiment devenu au fil du temps comme un grand frère. Indispensable et consolateur. Plein d'humour caustique. Et plus bidon du tout.


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*extrait de « Debussy Gabriel Fauré »

Âmes fifties, sorti le 18 octobre.

15 octobre 2019

Rêves en stock






« Lire quand on est enfant, c’est quitter sa famille et devenir jeune mendiant, tendre la main aux princes de passage. C’est aller en Sibérie, avec loups et cris de neige, si loin que votre mère ne vous retrouvera plus, criant « à table » dans le désert, loin, très loin du petit contemplatif aux yeux brun-vert gelés comme un lac. La lecture est un billet d’absence, une sortie du monde. »
Christian Bobin, un bruit de balançoire








Imagine. Nous n'avions que cela. Les livres. Je ne te parle pas du Moyen-Âge, non, mais d'une époque qui me semble pourtant si proche... J'avais dix ans, c'était hier. Nous ne possédions, pour nous distraire, des journées entières,  que ces objets étranges, ces assemblages hétéroclites de feuilles couvertes de signes bizarres, et d'où émergeaient des mondes, des immensités de mondes surprenants, effrayants, drôles...Nos lits devenaient des vaisseaux. 
J'avais besoin de m'y plonger, tout y était plus beau, comme lavé par la pluie de l'idéal. Tu le fais toi aussi, avec ta tablette, ou ton jeu video en réalité virtuelle. Tu as besoin de t'immerger, et toi non plus, tu n'entends pas crier « à table ! ».
Mes images aussi étaient virtuelles, puisqu'elles sortaient tout droit de mon cerveau. 
Mais c'était un intense travail de coopération entre l'auteur et le lecteur. Le premier s'efforçait de décrire précisément des lieux, de transcrire fidèlement des ressentis, des situations, avec des mots choisis, parfois un peu difficiles, et le second fabriquait des images singulières, personnelles, inédites, à partir de ces mots. Cela stimulait grandement mes neurones, quand les tiens sont si malmenés par les écrans et leur lumière bleue. 
Tu comprends maintenant pourquoi les mots ont pris tant d'importance dans ma vie ? 
Ce ne sont pas seulement pour moi des lettres agglutinées griffant le blanc du papier de leur noirceur de jais. Non. Ce sont des êtres vivants. Ils bougent, ils respirent, ils ont une couleur, une odeur et une vie propres. On ne peut les inter-changer sans mettre en péril l'équilibre d'une phrase, la justesse d'une pensée. 
Ils ne sont jamais anodins. Ils reflètent bien souvent le tréfonds du puits que l'on appelle l'inconscient. Ils sont chargés de symboles. Chargés comme des atomes, négativement ou positivement. Ils sont les éléments premier de la délicate chimie communicative. Blessants parfois comme des lames, ou doux comme des caresses. Eblouissants. Quelconques.  Sonnant parfois ensemble de façon sublime, à la manière d'un concerto.
Une fabrique infinie de rêves en stock.
Je leur attache sans doute trop d'importance, dans un monde où les chiffres, les faits, les images se taillent la part du lion. 
Mais je me suis construite ainsi. Dans l'amour du langage écrit. Et je continuerai, jusqu'à mon dernier souffle, à transmettre et à aimer la richesse des mots. A te lire, dans le petit matin tremblant de premier soleil, quand l'aube allume au jardin des étincelles de rosée, des passages de livres aimés, et à relire, les mains éberluées, et le coeur en dentelle, la douce mélodie d'une lettre d'amour. 
Parce que tout cela fait grandir, toujours. Elargit le regard et ouvre le coeur et l'âme. Infiniment.



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Merci Biche*



08 octobre 2019

Petites flammes dans la brume


Sous-titre : Souriez, vous êtes vivants !









Claire






Dans l'ambiance feutrée d'une jolie librairie, elle s'avance Claire, parée d'un turban et d'un sourire lumineux, droite, fière comme les femmes qu'elle dessine dans ses contes avec sa voix.
Des femmes de pays lointains, d'époques lointaines ou proches, en proie à l'adversité, aux prises avec leur féminité et le temps assassin qui galope. Dans les steppes. Sur les montagne ou la banquise. Partout. Elles n'ont pas le temps de mollir. Elles y vont.
Ses mots roulent comme des perles, des cristaux de givre, des grains de mil. Ses phrases tricotent des contes d'Afrique, d'Inde ou du Groenland.

Et parce que j'aime écouter des histoires, en lire, en raconter, m'en inventer, j'ai aimé ce moment suspendu aux lèvres de la conteuse. Claire Bonnaz, c'est son nom.










Lucile





Plus tard, l'on se retrouve autour d'un verre. Des habitués, des habités, des habitants, et moi qui ne connais personne encore (ou presque). 
Tiens, on me présente à une jolie femme très souriante. 
- Je vous connais, vous êtes Célestine Troussecotte, et je lis votre blog assidument.
- Wouah ! rosis-je d'émotion. C'est la première fois que je rencontre par hasard une de mes lectrices. Cela me fait tout drôle qu'elle sache autant de choses sur moi, alors que je ne sais rien d'elle. A part qu'elle s'appelle Lucile Avril, un pseudo de rêve, un nom d'aventurière, de poétesse, d'héroïne fière et rayonnante comme un printemps.
Je te remercie, Lucile, pour ce sourire doux et cette bienveillance que j'ai lue dans ton regard. Tu permets que je te tutoie ? Je tutoie toujours les étoiles, et les gens que j'aime.
Cliquez sur la photo pour découvrir sur quel billet Lucile est apparue ici pour la première fois. 







Laurent







Un autre jour, dans un salon du livre, il est là, parmi des auteurs très très sérieux, présentant des livres très très tragiques qui parlent de choses très très noires. 
Lui a un visage rond et franc et un sourire d'enfant un peu lunaire. Il tranche. Il dénote. Ça fait du bien, soudain, un peu de feel good  dans ce monde brutal !
Quand je lui demande s'il a fait une école d'art, il me répond avec humour :
« Je suis comme Guy Degrenne, depuis tout petit je dessine dans les marges de mes cahiers ». 
Chacune de ses dédicaces est une véritable création, qui lui prend un temps infini. C'est beau à regarder, cette application, on s'attendrait presque à le voir tirer la langue en dessinant, comme un gosse. Et en même temps quel talent !
Il s'appelle Laurent Bret. Dit Lolo. Il publie pour les enfants. Les petits. Et aussi pour les grands enfants que nous sommes toujours, vous et moi.
Et surtout, surtout, il sourit.