C'est toujours à un moment inattendu et fugace que la force vitale choisit de m' entrer dans la peau. Comme une évidence.
Comme le murmure de l'eau dans les gouttières au coeur d'une nuit d'averse. Comme les piaillements aigus des mouettes au bout de la grève blonde.
Je marche un soir de juillet, sur une vaste place rose, le vent agitant son ombrelle de feuillages au froissement de papier dans le sombre soleil crépusculaire.
Et soudain, c'est difficile à expliquer, avez-vous déjà ressenti cela? il semble que la Vie entre en moi, qu'une vague orgasmique me soulève, m'attise, m'enveloppe, me vibrionne, me fibrille, me tachycarde. Cela part du fond de mon ventre, remonte le long de mes vertèbres, plonge dans mon estomac, agite le duvet sur mes bras et mes jambes d'une houle tiède, d'une sorte de souffle silencieux qui pénètre mes poumons. Un air frais de menthe bleue. Un soupir, comme un muet sanglot, se bloque dans ma gorge, et je sens soudain la Vie véritablement parcourir mes atomes. Et une gratitude éperdue qui m'inonde, je ne sais trop envers qui au juste...
Plus rien d'autre n'est important, et tout s'oublie, des derniers jours, de ce qui n'était pas animé par cette déferlante joie.
Et si je ne me trouvais pas là, au cœur de la ville haute, parmi les passants du soir courant après leurs songes, je pousserais le cri primal. Je libérerais cette formidable énergie mystérieuse qui m'envahit, et qui semble venir des confins des étoiles. Je crierais mon amour de la vie aux platanes et aux tournesols ébahis.
Mais je ne suis pas seule, sur le pavé encore chaud de cette place à demi-vide, et le poids des conventions est une enclume trop lourde, à moins qu'elle ne me protège, peut-être, des regards réprobateurs que l'on ne manque pas d'essuyer quand on sort des balises habituelles.
Alors je me contente d'accrocher à mes lèvres un sourire à la Vermeer. Un sourire introspectif de jeune fille à la perle. Que cache-t-elle, cette mignonne, derrière cet énigmatique et adorable plissement de sa bouche enfantine?
Que sait-on des frémissements de sa perle, des sentiers sinueux qu'elle trace de ses doigts sur sa peau, de l'écume à son front, de ses désirs cachés, de ses fièvres vitales?
Que sait-on des fils tendus sur lesquels elle danse, badine et court-vêtue, au-dessus du lac de ses rêves? Que sait-on de ses éblouissements électriques?
Elle regarde le monde, désinvolte et naïve, tout comme moi. Sage et lisse en apparence. Strombolienne en profondeur.
Elle sent la vie battre dans ses poignets et couler dans son corps, et la force invisible de la sève passer dans son sang. Elle se sent sœur avec les arbres, avec la mer, avec le vent. Elle aime la Vie. Elle est la vie.
Et moi, quel bonheur! je suis juste comme elle. Vivante!
Et tout le reste n'est que lie. Et ratures.
Peanuts, quoi.