27 août 2025

Quand les ombres s'allongent







Ce matin, je me suis éveillée au chant du coq, comme tous les jours depuis que le nouveau voisin a installé son poulailler au bas de la colline. 

Contrairement à certains fâcheux qui râlent contre cette prétendue « pollution sonore »,  j'adore ce premier bonheur du jour. Ce sont les mêmes qui rouspètent après les cloches. Des grincheux qui préfèrent sans doute le doux ronron d'un aéroport ou les effluves d'une station d'essence.
On en apprend de belles sur ce volatile en musardant sur la toile. Sa symbolique, son histoire, son caractère chinois... Saviez-vous, par exemple, qu'un animal ailé fabuleux, à tête de coq et à corps de serpent, s'appelle le coquatrix ? Son prénom ne serait-il pas Bruno, par hasard ?

 Moi, ce que je sais, c'est que l'emplumé du voisin annonce le lever du soleil de manière naturelle et joyeuse. Et que ça me va bien.

Tout à coup, je réalise que cela fait dix ans que j'ai abandonné le réveille-matin quotidien. Dix ans que je fêtais ma jubilacion, avec je dois le dire, une certaine allégresse...et sans me retourner, prête pour ma nouvelle vie. Je n'ai jamais regretté d'avoir quitté le métier avant d'en être lassée. Pas un jour, dans cette décennie, où je me sois morfondue, ennuyée, pas une minute où j'aie envié ceux que j'ai laissés sur le grand bateau de la vie dite active... 
 
Fin août, les ombres des acacias et des chênes s'allongent sur l'herbe encore jaunie. La lumière prend cette teinte inimitable qui fait le bonheur des photographes et des peintres.
Les gynériums lancent leurs plumeaux vers le ciel. Septembre s'annonce.

Chaque année, à cette période, je rêvais d'une école toute fleurie de pervenches et de liserons bleus. Aux fenêtres des rideaux de mousse blanche flottaient au vent du matin. 
De petits chemins herbus serpentaient dans le jardin, et les balançoires transformaient aux récréations les enfants en métronomes.
Je rêvais que les professeurs s'appelaient Jean Rivet, Pierre Gamarra, Jacques Prévert. 
Des bouquets d'hirondelles poussaient sur les arbres de la cour, les couloirs sentaient la myrtille et la châtaigne en automne, et sur le poêle, l'hiver, chaque flaque d'eau était un bonhomme de neige évanoui. Au printemps le jasmin y embaumait.
L'été incendiait les soirs.
Sur le tableau, un coeur était tracé dans un peu de poussière de craie. Toute ma vie...
Je rêvais que les cahiers et les leçons avaient des noms étranges. 
Livre d'étoiles, cahier de bonheur simple, leçon de rosée du matin, petit carnet de résolutions courageuses, manuel de rouge aux joues.
Je rêvais en préparant mon cartable.
Je ne comptais plus mes rentrées des classes. Mais rien ne m'empêchait de compter les battements de mon coeur quand je me retrouvais pour la énième fois devant mes chers élèves.

Désormais chaque année, à cette période, j'ai une pensée pour vous. Oui vous, les « actifs ». Pour ceux dont les vacances ont passé trop vite, et qui se retrouvent dans ce vortex incroyable, ce tambour à essorage appelé rentrée des classes. Qui ne génère pas que de doux rêves, d'ailleurs...
Avez-vous toujours ce léger vertige avant le jour J, cette peur diffuse et intrinsèque qui saisit le ventre, faites-vous toujours ces « cauchemars d'école » dans lesquels le réveil ne sonne pas, vous loupez la rentrée, ou alors vous avez 52 élèves qui montent sur les tables sans qu'aucun son ne sorte de votre bouche ?
Je pense aussi à mes petites étoiles qui retournent à l'école, remplies des bonheurs de l'été, les yeux plus clairs que jamais. 
Quoi qu'il en soit, je vous souhaite la meilleure des rentrées à tous, jeunes padawans. 



09 août 2025

C'est comme ça !


« Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait... »
Mark Twain







Les héro·ïne·s de mes livres d'enfance avaient un peu tou·te·s le même profil. Intelligents, raisonneurs, rebelles, courageux, obstinés, impertinents, sensibles. Allergique à l'autorité abusive de ceux qui savent mieux que les autres, en se réfugiant derrière leurs galons.
Fifi Brindacier, Fantômette, Anne avec un E, Tistou les Pouces Verts, Le Petit Prince, Zazie dans le métro, Jonathan le Goéland. Ulysse vainquant le Cyclope. Oui, à y bien réfléchir, ce sont des êtres que l'on essaie (sans succès) de faire entrer dans le rang. Des poseurs de questions, qui refusent de se soumettre à une injonction sans en comprendre le sens.
Des êtres impétueux, indignés par l'inertie de ceux qui se résignent à leur condition sans même imaginer qu'elle pourrait changer. Tel l'allumeur de réverbères, enchaîné à sa consigne, avec son encéphalogramme de moule anorexique. Réagis, bon sang !
Je réalise que, comme eux, je détestais déjà le conformisme et les idées toutes faites. Ainsi que la phrase « c'est comme ça » souvent accompagnée de son corollaire « et pas autrement ! ».
La quête de sens n'est pas une élucubration. C'est une vraie philosophie de vie. 
Dans la série des phrases urticantes que j'ai eues à me coltiner, il y a aussi le célèbre « c'est pour ton bien, tu comprendras plus tard ». Même s'il est vrai que l'on met parfois toute une vie à comprendre certaines choses, c'est quand même assez violent de s'entendre dire que « pour l'instant » l'on est trop bête. 
J'ai beaucoup travaillé à dompter ma nature sauvage, à respecter les règles quand elles ne sont pas iniques ou dépourvues de logique. A écouter la parole sage des anciens. A accepter l'inéluctable. J'ai lissé mes scories, calmé mes réparties, adouci mes jugements. Surveillé ce feu de volcan toujours prêt à se réveiller. Me prouvant que se rebeller contre le fatalisme du « c'est comme ça » commence par soi-même. Oui, on peut changer les choses, et notamment améliorer ses propres défauts, surtout s'ils nous ont fait souffrir. Non, ce n'est pas impossible. 
Mon double métier de mère et d'enseignante, me souvenant de ce que j'avais détesté, m'a permis d'éduquer les jeunes âmes dans le souci de cet équilibre subtil entre bienveillance et exigence. Je leur ai appris à ne jamais dire « c'est comme ça » avant d'être bien sûr que ça ne peut être autrement. Oh, j'ai bien dû dire quelquefois : « C'est comme ça, et pas autrement !!! » sur le ton de la daronne à bout d'arguments, c'est humain. On n'est pas le dalaï lama, non plus... Mais dans l'ensemble, j'ai rarement dû avoir recours à l'autoritarisme.
Je leur ai appris à obéir et aussi à désobéir. A croire en des valeurs et aussi à être sceptiques en ne gobant pas tout. Je leur ai appris « mon » sens de la vie. Ce qu'ils en feront leur appartient.