30 août 2024

Le temps, le temps, et rien d'autre...


“Dans le bonheur d'autrui, je cherche mon bonheur. ”
Pierre Corneille, 
Le Cid, Acte I, scène 3










 Le temps d'un éternuement et l'été est passé.
Un rythme entêtant, comme une rengaine qu'aimait mon paternel. Le temps, le temps, le temps et rien d'autre... Le tien, le mien, celui qu'on veut nôtre. 
Que l'on voudrait nôtre, oui mais, qui ne nous a pas complètement appartenu : la vie sociale, amicale et familiale, prend un essor particulier en été. Vous connaissez bien ces moments chauds où les parfums, tenus prisonniers au ras de l'herbe par un soleil d'acier, s'exhalent soudain au coeur de la soirée. Le vin qui pétille comme les yeux. Le melon et les tomates qui ponctuent la nappe blanche de leurs couleurs vitaminée. La viande qui dore sur son grill, la mamie qui dort sur son fauteuil, les rires qui fusent. Les jeux de société, les conversations qui s'animent, pas toujours très passionnantes... mais c'est l'été. Le soleil donne la même couleur aux gens comme dit le poète.
Les grillons font vibrer doucement le silence, les lumières subliment l'obscurité, la moiteur rend l'air palpable.
Me voilà à l'aube d'un nouveau septembre. Une période qui a longtemps coïncidé avec le stress des gommes et des cahiers. A présent, je vois avec plaisir s'allonger les ombres sur le gazon. Et les gauras refleurir après avoir été roussis par la canicule. 
Et je m'applique à retenir les quelques moments forts de cet été tourbillon, et à oublier les instants de doute ou les petits coups de moins bien.
Une étoile filante extraordinaire, sur le plateau de Mars, le onze août. Sa trace a duré au moins six secondes, un instant de magie pure sous le ciel ardéchois.
Une vraie discussion, avec Luc, ou plus tard avec mes neveux Hélène et Antoine, de celles qui ne se contentent pas de rester à la surface des choses. 
Une représentation originale du Cid de Corneille, à Grignan, où les protagonistes évoluent sur un matelas gonflable géant. L'extrême puissance de ces vers mythiques, lancés dans les coeurs comme des aiguillons de l'âme humaine. 
Les premiers pas de Thaïs, ma troisième petite étoile. Le spectacle de danse de Sibylle et Alba, ses grandes soeurs. Mon émotion devant leur grâce naïve et confondante. 
La main d'Alba serrant si fort la mienne dans la piscine, me ramenant à ma vieille peur de l'eau. Un instant, j'ai eu quatre ans à nouveau. Et j'ai à nouveau pensé que je n'avais pas eu droit à une main compréhensive et bienveillante, dans l'eau, et aussi pour mon plongeon dans le grand bain de la vie. Une ancienne blessure qui se réveille parfois, comme un geyser sur un volcan endormi.
Un baiser sur le Pont de la Reine Jeanne, notre endroit secret d'amour. Une promesse renouvelée. Des larmes dans mes yeux.
Un splendide Monte Cristo sous les traits d'un Pierre Niney exceptionnel.
Revoir mon village panser doucement ses plaies.
Une balade sur les bords de la Drôme, un joli chemin ombré plein de mousse, d'oiseaux, de mûres, et de sauterelles, avec Zélie et Carla, des adolescentes citadines instagrammées et autocentrées sur leur nombril (qu'elles ont mignon, d'ailleurs) plongées en milieu naturel : un vrai bonheur d'entomologiste que de les voir s'esbaudir devant une mûre ou un champignon. Croyant sans doute jusque là qu'ils poussent dans des barquettes sous vide au rayon primeur d'Auchan.

La douceur d'un bain de minuit en tenue d'Eve, avec Bé et Do, un couple d'amis chers.
L'émerveillement des enfants pendant une plongée dans les eaux claires des calanques. Ton sourire de les avoir rendus heureux.
Une halte gourmande et romantique au coeur des Alpes de Haute Provence.
L'immense joie de voir mes fils, et ma fille, ma prunelle, trop fugacement pour le coeur d'une mère, pendant la cousinade annuelle. De me sentir devenue le pilier d'une grande et belle famille.
Avec toujours cette acuité de tous mes sens, et qui change parfois douloureusement une alouette en griffon. Je ne sais pas être autrement que moi. 

Tant de moments précieux, furtifs, intimes, qui font le sel de cette vie. Des confidences et des confitures. Au final, une somme de bonheurs qui ruissellent en pluie bienfaisante. Faire son possible pour que les petites échardes de la vie ne soient que des taillures de crayon balayées par le temps. Le temps qui court. Et celui qui gronde.