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24 septembre 2023

De sable et d'or


« Tout ce qui m'a étonnée dans mon âge tendre m'étonne aujourd'hui bien davantage. L'heure de la fin des découvertes ne sonne jamais. 
Le monde m'est nouveau à mon réveil chaque matin et je ne cesserai d'éclore que pour cesser de vivre. » 

Colette, Le Blé en Herbe.









 
-C'est donc ça, Célestine, ton rêve d'histoire né en classe de sixième ? Cet éblouissement lorsque tu découvris les pharaons, les hiéroglyphes, les dieux à têtes d'oiseaux et de taureaux, les tombes royales, les vestiges sacrés. Lorsque tu éprouvas cet étrange vertige devant ces « trucs pointus » recélant tant de mystères, perçant le sable doré du désert comme des diamants semi-enterrés. 
-Eh oui, mes amis, je pars pour l'Egypte. Merci d'avoir été si inventifs et drôles sur le billet dernier, et même si vous n'avez pas deviné mon rêve, vous m'avez donné beaucoup d'autres idées à ranger dans mon coffret des possibles.
Me voilà donc à la veille d'un voyage mythique. Pardonnez mon lyrisme, vous me connaissez... Je ne suis qu'une petite Française qui n'ai pas beaucoup voyagé, et j'en rends grâce à la vie : cela m'a permis de ne rien perdre de ma faculté d'émerveillement. Ainsi, les noms inscrits sur mon programme sonnent à mon oreille comme les clés d'une énigme fascinante. Alexandrie, Louxor, Assouan, Abu Simbel... Je mesure ma chance une fois de plus. J'ai rendez-vous avec le plus grand de tous les peuples (comme dit Cléopâtre Belluci à César Chabat). Toutes voiles dehors, le nez au vent des rencontres et des découvertes, avec cette soif infinie de voir, d'apprendre, de sentir, de toucher, de goûter, je vais glisser sur les eaux calmes du Nil, et contempler ces quarante siècles dont Napoléon instruisit ses soldats. (Enfin, quarante-deux plutôt, depuis Arcole, l'eau du Nil a coulé sous les felouques.)
Enfin bref, si je ne me fais pas boulotter par un crocodile, ou enfermer dans un tombeau de la Vallée des Reines, je vous raconterai tout à mon retour. Le 9 octobre.





18 septembre 2023

L'admiration







Quand je te sens sortir du lit, dans la pénombre, tu es nu. Vêtu de ta seule probité candide. Je ne puis empêcher mes yeux de s'attarder sur les courbes de ton corps. Tes fossettes secrètes, la plaine de ton dos, le velouté de ta peau. C'est un voyage du regard, étonnant à chaque fois. Comme si je te découvrais.  Je te trouve beau. Beau à tracer des coeurs sur la buée des miroirs, beau à me tordre le cou pour continuer à t'apercevoir même quand tu disparais à moitié dans la salle de bains. Ta peau est attirante, caramel, tentante, douce amère sucrée, comme tu es fondant de naturel quand tu te balades sans pudeur dans le plus simple appareil ! Puis, pour descendre sur la terrasse,  tu daignes enfiler un de tes caleçons qui te vont si bien, et je te trouve beau. 
Quand tu verses le café tout frais et tout chaud pourtant, tu me fais rire dès le matin, par une de tes facéties qui brillent comme de petits grains de sel mouillés de rosée. Et là, je vais t'étonner, je te trouve beau.
Soudain tu réapparais avec la chemise que je t'ai offerte, celle avec le liseré bleu pâle, et ce pantalon de toile beige à la coupe parfaite. Ça y est, tu es habillé, tu sens bon, et si tu rajoutes la veste italienne avec sa pochette de satin, celles que nous avons achetées à Côme, je vais te trouver encore plus beau.
Quand tu souris, quand tu es sérieux, quand tu pleures ou quand tu dors, je te trouve beau dedans comme dehors. Quant tu m'emmènes, quand tu m'envoles, ou quand je pointe les étoiles de l'âme et du doigt. Tu abolis les heures, et je tiens la lumière entre mes mains.
Mais je t'aime aussi en bûcheron, de la sciure plein les poils des bras, en cuisinier, la sueur perlant au front devant le four, ou les mains barbouillées de boue, ou quand tu rentres du tennis, essoré et ravi, précédé d'une odeur de fauve. Je te trouve beau quand même. 
L'admiration, c'est le berceau de l'amour.


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Pour l'atelier du Goût

11 septembre 2023

L'oeil du peintre

 




« Je m'étais promis, avant mes quarante ans, de vivre en ermite au fond des bois ».
Ainsi Sylvain Tesson commence-t-il son livre Dans les forêts de Sibérie. 
Je vous rassure (ou je vous déçois) : je n'ai pas ce rêve-là. 
Mais j'en ai tellement d'autres. Certains que j'ai réalisés, avec bonheur, et d'autres qui mijotent encore dans le chaudron de ma pensée bouillonnante.
La vie est le meilleur des grimoires. Nul besoin de mandragore ou de bave de crapaud. Les ingrédients précieux commencent tous par la même lettre : l'énergie, l'émerveillement, l'envie. 
Tu en fais la belle expérience, Mino, toi qui en ce moment met un pied devant l'autre sur le Chemin de Compostelle. Sous un soleil d'or fondu. Ton défi, sportif et spirituel, m'impressionne et me titille l'hippocampe. Il est toujours en bonne place sur ma liste de « choses à faire avant ... »  Avant quoi ?
Avant que tout s'arrête, comme dans le très beau film « la Chambre des Merveilles » où une mère tente de sortir son enfant du coma en réalisant les rêves qu'il a griffonnés sur un cahier.
Je pense aussi aux livres « La liste de mes envies » de Grégoire Delacourt ou « Douze choses à faire avant la fin du monde » de Bjorn Sotland. Un thème inspirant. Peut-être parce que la vie est faite de ce souffle-là...

La liste. Voilà la clé.
 Qui n'a pas au moins une fois, dans sa tête, invité l'un de ces colliers de rêves, lieux à voir,  personnes à rencontrer, choses à construire ou à créer ? L'urgence stimule le désir et l'imagination, c'est certain. Et les listes structurent le cerveau, balisent le chemin comme des cailloux lumineux au bord de la route.
Tous les dix ans j'actualise ma liste. Je coche ce qui est fait. Et de nouveaux rêves émergent, tels des bourgeons au printemps, en gerbes, en feux d'artifices. Il n'y a pas de petits rêves, pas de rêves idiots. Juste des étincelles de vie qui pulsent en nous et nous donnent envie d'aller de l'avant. 
Si, pour votre existence, vous avez comme moi l'oeil du peintre, si vous aimez vous dire que votre vie est une oeuvre d'art, vous savez bien que les couleurs ne sont jamais mises au hasard sur la toile. Elles sont le fruit d'une vibration intérieure aux racines profondes, et de la rencontre magique entre le rêve, le pigment et le pinceau.
Tout cela pour vous dire que je réaliserai très bientôt un rêve qui remonte, au bas mot, à mon entrée en sixième...

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A Mino, mon courageux pèlerin de Compostelle.






01 septembre 2023

L'olivier




Les arbres sont des poèmes que la terre écrit sur le ciel.
 Khalil Gibran








J'ai planté un olivier. 
Il vivotait sur une terrasse, au gris de la ville, dans un pauvre pot en plastique. Dévoré par la cochenille noire, asphyxié par la pollution. Au printemps dernier, je l'ai soigné, dorloté, revigoré. J'ai changé son substrat, fait briller ses feuilles à l'huile d'olive, je l'ai arrosé à l'eau de pluie, mais pas trop. Taillé juste un peu. 
A l'école de la vie, j'ai fait « olivier première langue ». Je sais ce qui est bon pour lui. J'ai grandi au pays de Giono. Je connais le secret de ces vénérables aux troncs noueux.
Je suis contente : il a passé brillamment l'épreuve du « Dôme de Chaleur » qui nous a tous accablés fin août. Puisant sans doute dans ses racines la force de ses lointains ancêtres de Provence, là où le feu du zénith fend les pierres en éclats de poudre. Là-bas, le ciel blanc comme un regard d’aveugle coule sur les oliviers centenaires, détrempe les calcaires des dentelles de roche, ravive l'argile des coteaux quand tombe la foudre sèche de ses rayons. Et ces arbres fabuleux résistent.
Désormais, le mien orne de ses petites branches volontaires ce coin du jardin où rien ne poussait. On sent qu'il a envie de devenir grand. Je le contemple chaque matin, lui demande des nouvelles de sa nuit. Du Mistral auquel il lui faudra bien s'habituer, comme tous ceux de son espèce. De la rosée qui pose des perles sur le gris vert de ses feuilles. Je lui dis qu'il est beau. Il frétille de tous ses rameaux. Je surveille les bestioles qui auraient idée de venir l'embêter à nouveau. Quand je pense qu'un jour, il aura peut-être mille ans...si la folie des hommes lui permet d'accomplir son destin.
Ça rend humble de planter un arbre appelé à devenir plusieurs fois centenaire. Ça donne la mesure de notre infinie petitesse. De notre fatale finitude.
Tu mesures combien ?...un mètre, pas davantage. Tu as cinq ans, comme ma petite fille Sibylle. Si tu continues à cette vitesse, quand Sibylle passera son bac, tu seras plus grand que moi. Mais tu prendras sûrement de longues années pour épaissir ton écorce. Quand elle sera maman, on pourra tailler dans ton feuillage pour « y laisser passer le vol d'une hirondelle »
Et puis un jour, elle sera grand-mère à son tour, et tu seras toujours là, contrairement à la vieille Célestine qui aura fini son petit tour de planète et mangera les pissenlits par la racine.
  Et puis Sibylle aussi partira, et ses enfants et les enfants de ses enfants. D'autres petits bras potelés entoureront ton tronc rugueux, on cueillera tes olives et on fera la sieste à l'ombre de ta ramure. Et tous ces gens ne sauront pas qu'en 2023, il y a deux siècles, une espèce de fée à la gomme, de sa toute petite baguette magique, t'a sauvé du désastre.
Enfin bref, j'ai planté un olivier.

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