Cette semaine, j'ai subi une petite ablation chirurgicale. Je me suis fait ablater une de ces bizarres choses que le corps produit parfois, que les médecins appellent « lipome » et dont la présence, si elle n'est pas vraiment grave, n'est cependant pas des plus agréables. Surtout en plein milieu du bras. J'ai appris par ailleurs que le lipome était psychologiquement associé à un chagrin, ou une rancoeur, ou une peur imaginaire dont il serait la mémoire. Ça ne m'a pas étonnée.
J'ai apprécié de voir sortir loin de moi cette espèce de limace sanguinolente, à un moment-clé de ma vie où je me débarrasse de plein de choses ancrées dans mes profondeurs mentales.
Une sorte de grande toilette symbolique de tout mon être qui m'emplit d'une joie ineffable. J'en reparlerai.
Pour l'heure, le jeune et sémillant infirmier qui m'a soignée m'a parlé d'apithérapie et conseillé de mettre du miel sur ma cicatrice. Du miel...Quelle bonne nouvelle ! Toute joyeuse, afin d'acheter un pot de ce remède miracle, je me suis rendue chez Felix, mon apiculteur préféré, un être exquis amoureux de ses abeilles. Un sage qui me fait penser à un vieil indien.
J'ai une grande admiration pour les gens passionnés comme lui, qui aiment les animaux qu'ils élèvent, ou les terres qu'ils cultivent.
Mais Felix était bougon. La récolte n'a pas donné, cette année. Ses abeilles sont stressées. Il a fait trop chaud...Je l'ai entendu maugréer en boucle contre Monsanto, le round-up, le glyphosate, le réchauffement climatique et l'inconséquence des hommes, parce que « tu comprends, s'il n'y a plus d'abeilles, nous mourrons tous ! » Il a conclu en disant qu'il n'y avait plus qu'à Cuba que les abeilles produisaient normalement.
Il était convaincant. Ça m'a bousculée. J'ai repensé à mon fils aîné qui voulait déjà sauver les baleines et les abeilles, à dix ans...je le sais depuis longtemps, en fait, que la fin des abeilles serait une catastrophe...mais là, j'ai eu l'impression qu'elle était imminente.
Et tout en écoutant Félix, ai-je rêvé ? je crois bien avoir aperçu, au coin de son oeil de lin, une larme s'échouer dans un sillon de sa peau de vieux loup de mer.
¸¸.•*¨*• ☆