La vie ressemble un peu, selon moi, à ces commodes anglaises en bois couleur de miel, très à la mode il y a quelques années, remplies de tiroirs de toutes les tailles. Dans chaque tiroir se trouve un compartiment de l'existence: Il y a le tiroir-famille, le plus précieux, rempli d'amour, compartimenté en plusieurs grands tiroirs : le couple, les enfants, les parents, les collatéraux. Puis le tiroir-travail, massif et indispensable, dans lequel se cache comme une gigogne le tiroir-argent, dont le fond est un peu troué par endroit, et où l'on range les courses, le budget, les factures , les traites..., et bien sûr le tiroir-santé. Si le désordre règne dans un de ces trois énormes tiroirs, ou même, sans parler de désordre, si quelque chose ne va pas tout à fait bien, alors la commode devient bancale, et la vie compliquée.
Et puis, il y a d'autres tiroirs plus légers mais tout aussi important pour structurer une vie. Le tiroir-maison, qui n'est pas forcément grand mais demande beaucoup d'énergie et d'attention, le tiroir-amis, plein de choses fraîches et agréables, où l'on n'aime pas que se pointe une déception, le tiroir-vacances, avec ses bonbonnes d'oxygène et ses paysages nouveaux, bien pratiques quand on étouffe un peu, le tiroir-choses-matérielles-dont-on-pourrait-se-passer-quoi-que..., nom générique pour désigner un tiroir dans lequel on va ranger l'ordinateur, le lave-linge, la bagnole, (oui, je tiens à garder ce substantif désignant bien ce tas de ferraille qui rend des services mais nous le fait payer en se vengeant régulièrement) le frigo, la télé,la chaudière,la tondeuse à gazon...bref, tout un bric-à-brac de trucs immondes qui ne sont là que pour nous faciliter la vie sauf quand ils tombent en panne.
Et puis, tout en haut de la commode, tout un tas de petits tiroirs qui ne semblent être là que pour faire joli, mais qui ont leur importance, le tiroir-imprévu agréable, plein de sel et de piment, de poésie, de fantaisie, le tiroir-bonnes nouvelles, rempli de guérisons, de décrochages de CDI, de réussites aux examens, de bébés et de mariages, et le tiroir personnel, dans lequel on rangera le temps pour soi, la lecture d'un bon livre, la sieste, l'esthéticienne ou la méditation sur une montagne. N'oublions pas le tiroir-secret dans lequel pousse le jardin du même nom, et qui mériterait, comme le précédent, qu'on y aille un peu plus souvent car il est vite envahi d'herbes folles si l'on n'y prend pas garde.
Quand je regarde l'existence sous cet angle, je ne puis m'empêcher de constater combien il est difficile de maintenir l'harmonie dans tous les tiroirs. La vie, c'est sans doute cela, essayer de ranger au fur et à mesure, et de trier l'urgent du moins urgent. Et j'ai appris, peu à peu, à apprécier ces moments rarissimes et merveilleux où l'on a beau réfléchir, regarder, fouiller partout, plus rien ne cloche dans aucun tiroir. Ça ne dure jamais bien longtemps, autant le prendre avec philosophie...
Alors on s' assoit et on goûte cet instant de pure perfection, les yeux mi-clos et le sourire béat...et le téléphone sonne, ou le petit dernier se coince les doigts dans une porte...