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30 mai 2024

Lettres du Japon (10) Hiroshima

 




Comment dire l'émotion qui vous étreint quand vous arrivez dans la ville martyre ?
Le temps, jusque là clément, comme en témoignent les photos des billets précédents, s'est soudain mis en mode tristesse. Une pluie grise baigne les mausolées d'une lumière étrange. L'air n'a pas la même odeur ici. 
L'hôtel donne sur le parc de la paix, un espace dédié au souvenir. Si l'on n'y prend pas garde, on ne voit qu'une ville paisible au bord d'une rivière, où se reflètent les lumières des buildings. 
Mais la flamme qui brûle jour et nuit indique qu'on n'est pas tout à fait dans une ville ordinaire. On est à Hiroshima. 
Au point d'impact de la bombe, un monument en ruine, appelé le Dôme, soigneusement conservé et consolidé en l'état, rappelle au passant l'horreur absolue. Le cénotaphe conçu par un architecte célèbre, Kenzo Tange, est dans l'alignement de la Flamme et du Dôme.
Le monument des enfants porte en son faîte une statue représentant un enfant les bras ouverts surmonté d'une colombe. Image forte d'espoir, de renouveau, de paix. Image qui, de loin, n'est pas sans rappeler celle d'un Christ en croix.
Nous y arrivons au moment où une classe d'élèves qui auraient pu être les miens, des CM2, des frimousses de onze ans en uniforme comme tous les petits japonais, chantent en demi-cercle autour du monument.
Leur chant me perce l'âme. J'immortalise ce moment, d'une main qui tremble un peu, la gorge serrée. Muette d'émotion.
Ça et là, dans le parc, des stèles ou des statues rappellent des personnages ayant oeuvré pour la paix, Mandela, Gandhi.
Plus loin, un pylône aux montants déformés évoque les effets du souffle de la bombe sur les infrastructures métalliques. Au sommet, une pendule. Chaque jour, à 8h15, heure de l'explosion fatale, un carillon aux accents aigrelets, déchire l'air pour dire au monde : « N'oubliez pas, n'oubliez jamais à quoi mènent les horreurs de la guerre. » Et pourtant, combien de petits rois continuent à terroriser le monde avec leur soif de puissance et leur ego surdimensionné ? Est-ce que ça s'arrêtera un jour ?
Akiko a minuté la visite pour que nous nous trouvions exactement à cet endroit au moment du carillon. Elle est formidable, Akiko. Elle se plie en quatre pour faire de ce voyage un souvenir inoubliable.
Le Musée de la Paix est le point d'orgue de cette poignante journée. La scénographie est très bien faite : pas à pas, je découvre des choses que j'ignorais. Je ne savais pas que la bombe avait explosé à 600 mètres d'altitude. Je ne savais pas que malgré ce malheur le peuple japonais a été reconnaissant aux Américains d'avoir arrêté la guerre. Je ne savais pas que les habitants d'Hiroshima avaient tant souffert des suites de l'explosion. Je croyais qu'ils étaient tous morts sur le coup. 
On nous fait entrer dans le quotidien des survivants. Les blessures, les brûlures, la soif omniprésente. Le musée réunit un grand nombre d'objets, déchiquetés, des vêtements d'écoliers, une poupée, un casque de soldat, une pendule arrêtée sur 8h15, une boîte à repas (bento en japonais) La douleur d'une mère reconnaissant le vêtement de son enfant sur un cadavre calciné. 
Des morceaux de métal fondu, un reste d'escalier, un morceau de fronton, tout ce qui peut contribuer à dire au monde : « Plus jamais ça !».
Les photos sont criantes. Mais il y a aussi les dessins, les tableaux peints par les survivants, comme autant de témoignages que le plus difficile à vivre a été dans les années qui ont suivi. Les malformations congénitales, les cancers, les suicides, les affreuses chéloïdes transformant la peau des irradiés en carapace de reptile monstrueux, aux douleurs infernales ne se calmant pas.
Les incendies, les pluies noires et acides, le manque d'eau, de nourriture, le manque de tout, en fait, et le visage de ces enfants orphelins, aux mains brûlées, en guenilles, qui sourient quand même dans les ruines, et ces corps sans vie saisis par les radiations en plein sommeil, tout cela est si bouleversant qu'il m'a fallu plusieurs heures pour m'en remettre. Je pensais aux miens. A mes petites-filles. A l'horreur que ce serait de vivre une telle chose. 
J'ai souhaité que jamais elle ne connaissent cela dans leur vie. Il n'est rien de pire que de faire payer des innocents. 
Et même l'atmosphère joyeuse de la dégustation, à la brasserie de saké de Saijo, sur la route de Kobe, n'est pas parvenue à effacer ce choc.
Hiroshima mon amour, tu as raison, il fallait y être. On ne peut venir au Japon sans plonger dans cette partie cuisante de son histoire. Même si cela pique comme une morsure. Ce sont de ces moments où l'on a mal à l'humanité. 


A suivre

























 

12 commentaires:

  1. Le commentaire le plus difficile de ce voyage, et peut être le plus réussi tellement il mélange de sentiments, dire bravo, n'est pas à la hauteur mais, c'est sincèrement vrai. Tout est dit, tellement simplement que j'aurais aimé l'écrire

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  2. Je ne trouve rien à dire : le silence s'impose. Merci Célestine

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  3. Si je devais passer par Hiroshima, je me ferais discret : devine qui a fourni aux Américains l'uranium de Little Boy ?

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  4. Un grand moment de silence s'impose...
    Texte, photos et vidéo à la hauteur de votre hommage, merci à vous deux.
    Bonne continuation quand même, bisous Célestine.

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  5. Je savais que la bombe avait explosé en altitude, pour un "maximum" d'effet... L'avion qui la largua s'appelait l'Enola gay.
    D'où cette chanson ♫♫♫
    Ici, il y a des images, mais je ne veux pas rajouter de l'émotion à l'émotion... ♪♪♪
    Bises d'Auvergne

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  6. Et tout ça fut finalement causé par la folie d'un seul homme à la tête d'un pays militariste.
    Comme d'habitude, le tribut n'en fut pas payé par les coupables qui avaient pourtant été prévenus par les plus sages de leur état-major.
    Les Américains espéraient que ça ferait des dégâts, mais eux aussi, bien que prévenus, n'avaient pas pensé que l'arme nucléaire était aussi effroyable.
    (le pilote en est quand même resté à moitié cinglé)
    C'est pour ça que depuis, l'arme nucléaire est considérée comme une protection grâce à la doctrine "MAD" (Mutually Assured Destruction) et que tout le monde la veut...

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  7. Pour savoir ce qu'ont vécu les survivants d'Hiroshima et de Nagasaki il faut lire ce petit roman complètement bouleversant d'Edita Morris qui s'appelle "Les fleurs d'Hiroshima". Il faut savoir qu'après toutes les souffrances endurées, les victimes de la bombe sont aussi devenus des parias pour tous les autres japonais. Quand on pense que la bombe d'Hiroshima était une petite chose par rapport à ce qui existe actuellement, il ya de quoi être terrifié...

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    1. De fait, ce bouquin est un plaidoyer pour la paix que j'ai lu ado (et j'étais ao dans les 60's...) et il m'a terriblement marqué.

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    2. Oui c'est un très beau roman que j'ai prêté à plusieurs personnes pour le faire découvrir et qui a beaucoup bouleversé...

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  8. J'ai le coeur serré à la lecture de ton billet, on a beau le savoir on n'arrive pas à s'imaginer cette douleur terrible, ces dégâts effrayants pour la population... Je comprends ton émotion Célestine...

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    1. En dehors de la douleur (qui dût pour beaucoup être trop brève pour qu'ils la ressente) je pense à ceux dont il n'est resté sur les murs que l'ombre de leur corps vaporisé en un bref instant.

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  9. Triste humanité. Capable du pire et du meilleur. Et pourtant, aujourd'hui, on continue de tuer dans des guerres atroces qui ne veulent rien dire. Bises alpines.

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Je lis tous vos petits grains de sel. Je n'ai pas toujours le temps de répondre tout de suite. Mais je finis toujours par le faire. Vous êtes mon eau vive, mon rayon de soleil, ma force tranquille.
Merci par avance pour tout ce que vous écrirez.
Merci de faire vivre mes mots par votre écoute.