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27 mars 2023

Sombres héros et mantilles



Ici aujourd'hui, c'est Paris. Trottoirs mouillés. 
Le temps comme un crachin d'automne égaré en avril. 
Le jazz gris des rues écorche l'âme de sa plainte. Un vieux saxophone usé essaie de nous tirer vers hier. C'est fou, cet attachement viscéral au passé, aux choses anciennes.
Moi, les yeux rivés sur demain, je rêve de ciels nouveaux. 
Dans ma tête déjà se dessine le trajet, Aguilar, Quéribus, et Lastour, et Saissac, au bord de l'autoroute quand le soir descend. Histoire de vérifier si les Chevaliers Cathares pleurent doucement. Jusqu’au au coeur de la Montagne Noire, là où les arbres et le ciel se rejoignent, aux rives du lac des Montagnès.
Plus loin, Toulouse et sa brique rose, ses Minimes, et Claude, qui boxe et percute mon coeur, travelling panorama sur mes hanches. Je danse. Adieu, la petite fille en pleurs dans cette ville en pluie, mon horizon déjà arrive à Perpignan. Mon horloge s'affole. Sa gare est le centre du monde, déclare un peintre célèbre. Suivons ses traces, Elne, Argelès, Collioure, l'air sent la mer, les embruns, les emblonds, sans ambages, et le sable en avalanche. Le sourire de mon amie Flo. Une amie de longtemps.
Tiens, soudain, l'air sonne différent, tout chargé de sardane et de fandango. C'est là que j'ai passé la frontière, sans m'en apercevoir. 
Cerbère, Figueiras, Gerone, Lloret de Mar et enfin Barcelone, la ville aux cent visages. A moi, Gaudi, deux mots !
Poussons encore au sud. J’imagine l'éclat pur d'un ciel baigné d'ailleurs. Une surprise des sens. Un petit port qui tangue au bout des champs d'oliviers. Une amie qui m'attend, bras ouverts, pour me faire visiter son paradis. 
Je vous laisse un moment les amis. L'Espagne m'appelle. Je pars demain.
On est passé à l'heure d'été, mais pour moi, c'est l'heure d'Ibère.

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Pour l'atelier du Goût.
Merci à Francis, Georges, Claude, Salvador, Antonio et quelques autres.






19 mars 2023

Où l'on fait apparaître une analogie entre un tableau et un célèbre roman du XIX° siècle. Et les réflexions qui s'ensuivent.

 



Ce sont sans doute mes lointaines affinités génétiques avec les Grands Bretons (même s'ils nous ont fait perdre le Tournoi) qui m'ont tout de suite fait penser, en regardant ce tableau de Spitzweg, à ce roman extraordinaire de Charles Dickens que j'ai dévoré vers l'âge de douze ans. (Je m'en souviens, j'étais en quatrième) 
Une histoire protéiforme et picaresque intitulée « Les Aventures de Monsieur Pickwick ».
Les rouflaquettes, le haut-de-forme, la canne et surtout l'embonpoint du personnage contribuent évidemment à cette évocation. 
Dans le tableau, les personnages féminins, mère et fille, semblent, elles, tout droit sorties d'un roman de Jane Austen... Ah...Jane Austen, ses capelines enrubannées de satin et ses célèbres « Orgueil et Préjugés », j'en aurais tant à dire...mais je ne voudrais pas me disperser.

Cette panse, donc,  magnifiquement rebondie sous la culotte de soie, empêchant le gilet de se fermer, telle était la caractéristique physique première de Monsieur Pickwick. Il est bien possible qu'Alfred Hitchcock eût nourri, pour cette bedaine, par mimétisme abdominal, une admiration secrète...
Quant à son caractère, sur la toile on peut lire à son propos : 

« Paradoxe vivant, cet homme d'affaires à la retraite, donc en principe averti, qui plus est observateur scientifique, se posant en représentant sincère de l'expérience et de la sagesse vécues, possède en réalité l'innocence et la naïveté d'un enfant que  sa bonté innée rend incapable de voir le monde autrement qu'en termes bienveillants et optimistes à l'extrême. » 

Voilà sans doute ce qui me plut d'emblée dans ce Don Quichotte so british,  rubicond et débonnaire. Un personnage sans aucune méchanceté. Ça n'est pas si souvent en littérature.
Ses aventures ébouriffantes sont impossibles à résumer. Elles entraînent le lecteur dans un étourdissant périple, brouillant les pistes, rajoutant des histoires et contes secondaires au fil de l'imagination foisonnante de leur jeune auteur. Un de ces livres que l'on lit avec le plan des personnages à portée de main. Pour s'y retrouver.
Il faut dire qu'avant de devenir officiellement son premier roman, ce fut une sorte de feuilleton (on ne disait pas encore série) publié dans un journal, un peu comme pour Eugène Sue et ses Mystères de Paris. Dickens acquit à l'âge de vingt-cinq ans une maîtrise littéraire et une notoriété sans faille. 
En relisant quelques pages des « Papiers posthumes du Pickwick Club » , qui est le titre  anglais, je suis encore impressionnée par le niveau de langage, la richesse du vocabulaire, les tournures de phrases. Et la poésie aussi. 

« Le soleil, ce ponctuel factotum de l’univers, venait de se lever et commençait à éclairer le matin du 13 mai 1831, quand M. Samuël Pickwick, semblable à cet astre radieux, sortit des bras du sommeil, ouvrit la croisée de sa chambre, et laissa tomber ses regards sur le monde, qui s’agitait au-dessous de lui. » 


Je me demande quel enfant de douze ans pourrait encore lire Dickens, même dans une version expurgée. Je n'en tire pas de gloire exagérée (même si j'avais quelques facilités, aux dires de mes professeurs) : la lecture était notre youtube, notre netflix, notre instagram. Le livre notre laptop, notre tablette, notre smartphone. 
Lire, c'était l'Alpha et l'Omega.

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J'ai même retrouvé l'édition de mon enfance.




Pour ceux qui voudraient le (re)lire, c'est ICI. Et
Pour l'atelier du Goût, que je remercie de nous faire le cadeau de ne pas arrêter.








14 mars 2023

Le vrai du faux



Mon cher monsieur Magritte.

Je vous écris d'une époque étonnante qui célèbre, que dis-je, qui glorifie la « Trahison des images ». Oui c'est ainsi qu'en 1928 vous aviez baptisé votre célèbre tableau de « la pipe qui n'en est pas une ».
Vous nous alertiez déjà sur cette perversité de l'image qui se prétend l'égale de la vérité, alors qu'elle n'en est que le (pâle) reflet, même en trois dimensions.
J'ai le regret de vous dire que vous êtes terriblement loin de vous douter à quel point il est devenu compliqué de distinguer le faux du vrai, de nos jours.
Les photographies passent par des filtres qui les transcendent, les recadrent, les illuminent.
Le faux envahit tout. Les hologrammes, les écrans, les pseudos, les avatars sont partout.
Nos corps eux-mêmes se « faux-cilisent » à vue d'oeil. Après les faux cils, faux ongles,  fausses dents, postiches et perruques, faux grains de beauté sur la joue, sont arrivés les faux seins, les fausses fesses, les fausses lèvres. Les fausses lentilles pour changer la couleur des yeux. 
On redessine, on repulpe, on remodèle, on sublime, on réinvente. Mais jamais vous n'entendrez dire que l'on triche.
Les médias sont inondés de fausses rumeurs, de faux scandales. Les polémistes entretiennent avec génie le flou artistique qui consiste à nous enfumer. Qui croire ? Que penser ? Nous ne savons plus. Nos téléphones vibrent de faux messages, d'alertes frauduleuses nous incitant à confier nos précieux codes bancaires au premier venu. Même les gangsters utilisent de faux pistolets pour attaquer les diligences. C'est un monde virtuel, de gazon en plastique, de poissons carrés, de produits de synthèse, de jeux videos où l'on a plusieurs vies.
Le goût, l'odeur, la couleur des choses, rien n'est vraiment certain.
Des matières synthétiques aux noms barbares ont remplacé les fibres naturelles que vous connaissiez, la laine, le coton, la batiste, l'organdi. Les pulls en acrylique, les imitations, le simili, n'ont qu'un seul point positif : ils laissent un peu de répit à ces pauvres bêtes dont on prenait la peau pour s'en faire des bottes ou des manteaux.
Je vous vois ébahi, cher René. Si vous saviez... Vous, le chantre du surréalisme, vous seriez bluffé.
Depuis quelque temps, déferle dans nos vies « l'intelligence artificielle » à la portée du grand public. Dall-e et Chat-GPT produisent des millions d'images étranges, oniriques, conçues par des robots, à qui vous pouvez demander n'importe quoi, c'est amusant et terrifiant à la fois. 
Les textes ainsi produits sont sans âme, sans style, mais beaucoup vont les utiliser pour bâcler en vingt secondes leurs lettres de motivation, leur discours pour le décès de tante Suzette ou leurs devoirs de français... Une nouvelle étape est franchie dans le brouillage des codes, des pistes. Les fondamentaux humains vacillent sur leur base. L'humanité chie même gravement dans la colle, si je puis me permettre un peu de franche grossièreté.
Le résultat de cette omniprésence du factice, du contrefait, du frelaté, c'est que se développe parallèlement une méfiance paranoïaque de toute relation. L'autre est devenu suspect, soupçonné de mentir, de fomenter dans notre dos ou de vouloir arnaquer son semblable. Alors on garde le nez dans son smartphone, en s'inventant un profil de rêve.
Le bal des faux-culs mène le monde. Tout n'est qu'illusion. L'ivraie remplace le bon grain. Le roi est nu, mais restera-t-il un enfant pour le dire ?
Et pourtant, cher René, j'espère encore. L'Amour est toujours là, l'amour authentique. Le seul sentiment, sans doute, qui nous rende vrais. Fragile. Mais dru comme une pâquerette sous la neige. Il porte en lui l'espoir et la valeur des choses simples, sans artifice.
Dormez en paix, monsieur Magritte. Je m'inscris en faux avec énergie : tout n'est pas encore complètement pourri par les diktats de l'apparence. 

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