Connaissez-vous la tenségrité ? C'est un principe physique utilisé par les architectes et les bâtisseurs de ponts, selon lequel « une structure a la faculté de se stabiliser par le jeu des forces de tension et de compression qui s'y répartissent et s'y équilibrent. »
Ce qui signifie, par exemple, qu'en reliant des barres par des câbles, sans relier directement les barres entre elles, on arrive à constituer un système solide et cohérent, et en même temps remarquablement aérien et léger.
Vous ne comprenez rien ? C'est normal. Les explications techniques sont toujours un peu nébuleuses, comme un mode d'emploi de machine à laver made in Taïwan.
Mais sachez que ce week-end, jouant les Philippe Delerm en savourant ma première gorgée de bière depuis des lustres au café Bancel, j'ai repensé à cette notion que je ne connaissais encore pas la veille. On en apprend tous les jours, c'est connu.
La tenségrité...Savant mélange de tension et d'intégrité. Ah, que la science est une chose belle quand elle touche à la poésie des mots-valises !
J'ai pensé que nous sommes des structures complexes, nous aussi, sujets à des tensions, des compressions, des tiraillements, et pourtant capables, par le jeu subtil de nos forces intérieures, de nous stabiliser et d'atteindre notre point d'équilibre intègre...
L'ai était frais, doux et empreint de ces prémices d'été qui tournent un peu la tête, comme un vin rosé siroté trop vite : cris stridents des guêpiers fendant le ciel, odeurs grisantes de chèvrefeuille et fortes de poisson grillé, foule gentiment bigarrée, et partout cette joie d'enfants trop longtemps privés de récré...Les enfants que nous sommes tous, au fond.
J'avais presque oublié combien c'était beau à voir, des dents blanches illuminant des visages.
J'ai respiré à grandes goulées ce vent d'espoir. Et j'ai senti se dessiner, sur mon visage à moi, mon sourire de Joconde, celui que l'on m'a si souvent attribué : le sourire de la joie pure, jubilatoire. Cette joie de funambule en parfait équilibre.
Sans doute Lisa Gherardini avait-elle découvert, elle aussi, le concept de tenségrité, en farfouillant avec curiosité dans les carnets de Léonardo ...Et sans doute possédait-elle cette faculté de rester sereine malgré les adversités, un mariage précoce avec un vieux barbon de quarante ans, et six gosses à torcher. Tout cela, sans qu'il lui fût impossible, (au Quattrocento, imaginez ...) d'aller boire un pot en terrasse pour goûter aux effets intérieurs de la joie pure. Mais quelle femme, Monalisa !
Je ne vois pas d'autre explication à son sourire mythique.
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Pour l'atelier du Goût, on se demandait à quoi pensait la Joconde.
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Un exemple de tenségrité :
La Tour d'aiguilles par Kenneth Snelson
au musée Kröller-Müller à Otterlo (Pays-Bas).
D'autres exemples plus simples de tenségrité pour celles et ceux qui veulent s'amuser une après-midi de pluie :