Hé toi, petit grain d'amour qui pousse doucement dans ta bulle chaude...Oui, toi qui arriveras avec les vendanges, quand les bois prennent leurs teintes sang et or, et que la treille donne ses fruits à la Bastide. Ne prends pas froid, les soirs d'automnes sont frileux ici !
Toi, comme ta grande soeur Sibylle, je t'aime déjà.
J'adore que tes parents ne veuillent pas dévoiler ton identité, et gardent précieusement le mystère qui accompagne chaque naissance. Personne ne saura rien de toi avant l'heure où tu ouvriras la porte de ce monde un peu fou. Ni ton prénom ni la couleur de tes chaussons.
Ainsi, la puissance du fantasme décuplera le bonheur de t'accueillir. C'est tellement magique, la venue d'un petit être.
Ça remue tellement de choses, à l'intérieur de moi. Cette étrange reliance à autrui qui s'impose sans brusquerie, avec évidence et douceur, passe par tout un tas d'états d'âme, pétris de tout ce qui rend le fait d'être humain, si beau et si difficile aussi. De la joie, des doutes, des appréhensions, de l'espoir...
Tu ne sauras pas, en arrivant, qu'en te donnant la vie, on déclenche un chronomètre posé sur un nuage, un cadeau de millions de secondes qui vont s'égrener comme des perles d'eau et former ta vie.
Tu auras tout oublié de ta sagesse foetale.
C'est parce que tu auras, comme tout le monde, ce petit creux si doux au-dessus de ta lèvre supérieure, juste sous ton nez, celui que l'on nomme « Le sceau de l'ange »... Chut ! t'aura-t-il dit, l'emplumé céleste, en posant un doigt sur ta bouche juste avant que tu n'écloses...
D'aucuns diront que tu auras tout à apprendre. Je suis sûre que c'est pour que les mamies-fées se sentent utiles, et soient heureuses de lire des histoires, de belles histoires de vie, pleines de blé doré et d'écharpes de brume.
Mais tu auras aussi tout à m'apprendre : car un enfant, c'est toujours une étincelle. Ça allume des lucioles au coeur, aux yeux, et dans le cerveau aussi. Ça fait rester jeune, ça secoue les synapses. Ça accroche des sourires même à la lune.
Alors en attendant, je révise, les rivières, les chansons, les couleurs, les lapins, les arcs-en- ciel et la pâte à sel. J'emplis mes yeux de beauté pour toi. Je fourbis Orion, Bételgeuse et la Grande Ourse pour qu'ils brillent comme jamais.
Je cultive en moi la trace vive de la petite fille que j'étais, je traverse en funambule le fil de soie tendu entre le présent et l'instant où tu apparaîtras. Les grands appellent cela leur part d'enfance.
J'en oublierais presque d'écrire. Heureusement mes chers lecteurs me sonnent les cloches quand je les délaisse.
Tout ça pour te dire que je serai prête dans les temps pour passer ma deuxième étoile.
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