« Les vivants ferment les yeux des morts,
les morts ouvrent les yeux des vivants... »
Proverbe très vrai
J'ai donné à ce billet le titre d'un film de Nans Thomassey, sorti il y a deux mois, par un hasard absolument incroyable, et qui parle de la perte d'un enfant. Et surtout de la reconstruction possible après cette perte. Une somme d'émotions, de pistes de réflexions, de rencontres comme autant de petites étincelles pour ceux qui traversent, de près ou de loin, cette cataracte, ce séisme, cette onde de choc sans nom, et qui veulent continuer à vivre.
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Allez le voir.
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Choisir de vivre. Cela peut sembler évident. Pourtant, au coeur d'une terrible tempête, la tentation est grande pour celui ou celle qui la vivent de plein fouet, de lâcher et de se laisser sombrer pour ne plus souffrir.
Les autres alors, l'équipage, les moussaillons, sont là pour garder un oeil sur la bouée, contrôler l'accès au bastingage. Et redonner des forces à leur proche en perdition. Le serrer dans ses bras pour qu'il ne se jette pas à l'eau.
C'est ce que nous nous efforçons de faire depuis un mois avec la maman du petit prince. Doucement. Sans brûler les nécessaires étapes.
Aujourd'hui, j'ai envie de dire ici ce que je ne puis exprimer ailleurs. La singularité de ma situation vient sans doute de la collision subite entre l'amour et la mort, les deux ingrédients de base de la vie.
Comment expliquer qu'il y a peu encore, je n'étais rien pour cette famille percutée par le drame à la vitesse d'un astéroïde, puisque que je n'existais pas pour elle, pas plus qu'elle n'existait pour moi, et que, par la magie de la rencontre et de l'amour, elle soit devenue soudain si importante pour moi, sans qu'aucun géographe, ni aucun businessman ne soit venu parapher aucun papier officiel... Juste par la subtile équation qui rend les êtres perméables l'un à l'autre, jusqu'aux atomes...et qui fait endosser à l'un l'habit de l'autre même s'il est rugueux et pique aux entournures.
Cela entraîne au fond de moi un conflit difficile à gérer, fait d'émotions contradictoires. La peine, le chagrin que je ressens comme bien réels, et dans le même temps, une formidable volonté d'aller de l'avant, de dispenser de la joie, oh, non pas des éclats de rire, non. Plutôt des éclats de lumière. Des gouttes d'espoir. Des fragments d'étoiles.
L'envie d'agir, de ne pas rester collée sur un banc à la glu du désespoir. L'envie de comprendre ce que chaque départ d'un proche nous enseigne sur nous-mêmes. Parce que les morts nous ouvrent les yeux, et veillent sur nous de façon mystérieuse.
Comme le fait mon père.
Je cultive ma joie, ma chance, ma gratitude, parce que je sors de mes propres épreuves, et que je n'ai pas envie de me laisser grignoter à nouveau par les larmes, et l'abattement. J'ai mis tant de temps, depuis la mort de mon père, à reconquérir cette joie, ce goût profond de la vie et du bonheur que je sens sourdre doucement dans mes veines. Ce n'est pas une posture. Ni une marque d'insensibilité. C'est au contraire une aptitude à la résilience dont je suis fière, qui contrebalance les plaies et égratignures perpétuelles de la peau d'une écorchée vive qui a appris à se connaître.
Ce film fait beaucoup de bien. Il apporte, tout en pudeur et en subtilité, des réponses aux questions qui taraudent tous les êtres humains, (et toutes mes nuits depuis un mois) à propos de la mort et du rapport que l'on entretient avec Elle. Il a apaisé cette route sinueuse qui me donne parfois un peu le vertige: celle de concilier mes peurs et mes certitudes, mes doutes et mes envies, sans paraître pour cela égoïste ou méchante.
Ce qui est certain, c'est que cheminer en étant épaulée me permet de puiser la force de m'affirmer comme je suis et d'épauler mon Autre en retour : je suis celle qui aime aimer, apporter du réconfort, du soutien, semer des fleurs sur le bitume ardu, et de la chaleur dans les couloirs sombres. Celle qui préfère boire au verre à-demi plein. Celle qui écoute sans juger, et qui secoue la poussière des habitudes et des conditionnements.
Je suis sûre que ce doit être un peu mon karma, d'éclairer les lampes et d'allumer le feu.
J'ai choisi de vivre, et la mort ne me fait plus peur. J'ai la sagesse des fous et des enfants, ceux qui savent que la graine l'arbre et le fruit pourrissant ne sont que les belles étapes d'un cycle éternel.
Allez le voir.
Vous comprendrez pourquoi personne au monde ne pourra jamais donner les graines de moutarde que Bouddha a réclamées...
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