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29 octobre 2017

Chers voisins











Mes voisins sont des gens discrets. Jamais un mot plus haut que l’autre. Leur silence est à peine troublé par les oiseaux. Car leurs jardins aux allées bien ratissées abritent des corbeaux et des merles, qui, dans leurs chamailleries, font tomber les feuilles jaunies sur un rare gazon.
Je ne connais que leurs prénoms.
C’est vrai qu’ils cultivent le mystère, mes voisins. Ils ne s’animent qu’à la nuit. Qui est vraiment cet Hector qui se met parfois au piano, sous la pleine lune, accompagné de Frédéric et de Michel ?
Que peuvent bien se chuchoter, sur les ailes du vent aigre de novembre, Paul et Guillaume ?
Quelles sont ces ombres drapées dans de longues robes diaphanes, Maria et Sarah, devant lesquelles Oscar et Marcel ôtent leurs melons respectueusement ?
Est-ce qu’ils s’embrassent vraiment, Simone et Yves, ou bien est-ce qu’ils s’engueulent, sur ce banc à l’écart, pendant que les deux Pierre jouent au tric-trac ?
Et pourquoi n’y en a-t-il que pour un certain Jim, un bellâtre qu’Edith aurait peut-être appelé Milord…
Seulement voilà, mes voisins ne répondent jamais à mes questions.
Et pour cause. J’habite au 30 rue des Rondeaux.
Et je jouis, de la fenêtre de ma chambrette sous les toits, d’une vue imprenable sur les tombes du Père-Lachaise.
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Alors, les avez-vous reconnus, mes chers voisins, au nombre de quinze ?
Pour les Impromptus Littéraires, sur le thème des voisins mystérieux...
Musique: Autumn Leaves by Yenne Lee

27 octobre 2017

Moussaillons d'eau douce
















































Le passé nous revient souvent au visage avec de grands splash! comme une vague d'écume tiède, ou comme un boomerang.
Epantelés, il nous faut nous asseoir et reprendre nos souffles.
Là, c'est en retrouvant cette photo qu'une fois de plus, j'ai tracé d'un doigt furtif, sur le sable de ma mémoire, ce trait de fil de l'eau, cette légère fêlure au goût de quelques larmes...
Suivant les contours harmonieux de ces petits êtres qui ont disparu à jamais, remplacés par les adultes que vous savez, et qui leur ressemblent.
Elle, petit soleil joyeux, fière et flambante, dénudant son épaule pour bien montrer son splendide tatouage en décalcomanie acheté sans doute un franc à la boutique de la plage.
Lui, tendre et sérieux, plus sombre que sa soeur, serré contre moi comme s'il sentait inconsciemment qu'allait battre bientôt, dans mon ventre, le coeur de colibri d'un troisième larron. 
Moi, mes épaules de nageuse (un comble quand on se souvient que je nage comme une enclume) et mon fameux pied marin, jamais bien à l'aise quand ça tangue, me tenant au bastingage.
Mais quel était ce bateau ? Ce fleuve tranquille sous un ciel laiteux ? 
Qu'allions-nous faire dans cette plaisante galère  ? Au cours de quel beau voyage ? Je ne m'en souviens plus.
Seules me reviennent en grosses bouffées étourdissantes l'odeur de pain au miel de leur peau. Leurs voix. Et la douceur de leurs caresses.



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Au piano: Brian Crain, Wind

23 octobre 2017

Icônes au clash

Oui, je sais, Le Goût, normalement ces titres-là, c'est toi...










« Marquise si mon visage
A quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux... » 
Pierre Corneille


« Mignonne, allons vois si la rose etc etc...
blablabla... 
comme à cette fleur la vieillesse
 fera ternir votre beauté »
Pierre de Ronsard

Et patati, et patata, et gnagnagna...

Je me demande comment on a pu porter au pinacle pendant des siècles les poèmes de ces deux vieux machos de Corneille et Ronsard ? Non parce qu'enfin, vous voyez la délicatesse du gars qui écrit ça ? 
Dis donc, Cassandre, faudrait voir à pas faire la minaudière, là, hein, parce que la ride véloce te gagne et que bientôt tu seras vieille et moche...Alors cueille les roses de la vie, et de préférence avec moi, tant qu'à faire, vu que je suis beau comme un camion à plat ventre...(Je sais, ça ne veut rien dire, mais c'est pas moi qui ai commencé...)

Mais au fait, la ride véloce, la pesante graisse, le menton triplé, la muscle avachi...Ça ne vous rappelle rien ?
Mais si, voyons,  Juliette Greco, quand elle avait encore son nez, avait chanté une sorte de délicieux pastiche de ce monument Ronsardien, écrit par l'excellent Queneau, bien sûr.  


Si tu t'imagines
Fillette fillette
Si tu t'imagines
Xa va xa va xa
Va durer toujours
La saison des za
La saison des za
Saison des amours
Ce que tu te goures
Fillette fillette
Ce que tu te goures.

Si tu crois ah ah
Que ton teint de rose
Ta taille de guêpe
Tes mignons biceps
Tes ongles d'émail
Ta cuisse de nymphe
Et ton pied léger
Si tu crois xa va
Xa va xa va xa
Va durer toujours
Ce que tu te goures...

Question gentilhomme, tu repasseras ...Franchement, mon vieux Ronsard, j'ai déjà vu des façons de draguer plus habiles. Plus aimables. Plus affables. Plus amènes. 
Tiens, plus « cyranesques ».  Parce que moi, c'est pas pour dire, mais j'aurais été Cassandre, je serais partie en courant à jupons rabattus à l'autre bout de la ville, histoire de fuir ce balourd, tout en l'envoyant biner ses roses chez Jardiland.


Et l'autre Pierre, le Corneille, là, n'est-il pas tout aussi prévenant avec son ode A la Marquise

Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.

Assez éclatants ? Mais c'est qu'il ne se mouche pas du coude, le bougre de sapajou ! Je dirais même qu'il se la pète un peu, non ?

Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.

Ben voyons ! En gros, je porte beau, mes rides, et mon bide et ma calvitie. Et toi, eh bien tu vieilliras moins bien que moi, nananère, et bisque bisque rage !
Sympa le Pierrot...peut-être justement que si certaines personnes vieillissent mieux que d'autres,  c'est parce qu'on les regarde toujours pour ce qu'elles sont, et non pour ce qu'elles paraissent...On les regarde avec les yeux de l'amour...
Car quoi ? (comme dit Guillaume Tell).  Que vient donc faire l'âge dans l'amour véritable ? Fait-il vraiment une bonne affaire, celui qui, selon la bonne grosse blague de fin de soirée avinée, « échangerait femme de quarante ans contre deux de vingt ? » 

Heureusement, le grand Georges a  rétabli les choses à sa façon, en imaginant cette réponse assez jubilatoire :

Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t'emmerde en attendant.

Mais surtout, surtout,  en magnifiant sublimement la Femme dans Saturne,  une des plus belles chansons qu'il ait écrites. Ah ! j'en ai des frissons tellement c'est beau.

Je sais par cœur toutes tes grâces 
Et, pour me les faire oublier, 
Il faudra que Saturne en fasse 
Des tours d'horloge, de sablier, 
Et la petite pisseuse d'en face 
Peut bien aller se rhabiller.

Georges Brassens, voilà un homme qui savait parler aux femmes, sous sa moustache en tablier de sapeur... Quand je pense que des mauvaises langues le disaient misogyne...


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20 octobre 2017

Ils me sont tombés sur l'érable...

« La vie est un mystère à vivre, et non un problème à résoudre »
Gandhi.










Simplicité (2)



Les grands arbres du parc se sont penchés vers moi comme pour m'écouter.

Je leur ai dit combien j'aimais la complexité des choses, le mystère des étoiles,  la douce confusion des rêves, la subtilité des mots, les énigmes mathématiques, l'art et la poésie, parfois sibyllins, l'étrange alchimie de la naissance d'un être. La magie de la vie qui éclôt. 
Et dans le même temps, combien je détestais de plus en plus la complication ! L'embrouillamini relationnel. Tous ces égarements, ces malentendus, ces fausses pistes, ces hypocrisies, ces masques. Ces non-dits. Ces mal-dits. Ces liens tordus, qui font mal, qui serrent le coeur et les poignets. Ces situations inextricables dans lesquelles on s'enferme en pensant ne jamais pouvoir en sortir...

Alors les grands arbres ont pris la parole :
Apaiser tes relations aux autres, voilà ce qui te meut, comme dirait la vache. ( Ces arbres ont de l'humour) Centre-toi sur l'essentiel. Trie. Assainis. Balance à la corbeille.
 Tente, jour après jour, de débrouiller cette pelote d'émotions et de sentiments ébouriffés qui t'agitent depuis toujours. 
Ouvre les yeux sur toi-même. Sur tes besoins, tes aspirations, tes envies. 
Accepte l'inéluctable mais refuse l'inacceptable. 
Fuis à toutes jambes tous les jeux de rôles malsains, triangles de Karpman, trafics de pouvoir et d'influence, dominations, manipulations en tous genres. 
Ne garde que les relations qui t'apportent, au plus profond, de la joie. 
Dis les choses. T'es pas là pour pleurer, ma p'tite. Laisse ça au saule, il fait ça si bien...
Les chagrins inévitables sont déjà bien assez nombreux.
Exprime-toi clairement, calmement, mais fermement.  Sans peur de déplaire, ou de sombrer dans la solitude. 
Ne crains rien, ne te censure pas. Si on ne te comprend pas, c'est qu'on ne te correspond pas. 
Entre en cohérence intime, en congruence, c'est à dire fait coïncider tes paroles, tes pensées et tes actes. 
Et puis...respire, hein. Souris, Blanche. 
Et ris, de toutes tes forces, de toutes tes dents. Rien n'est grave...Tout est simple.
Comment ? 
Difficile, dis-tu ? ha ha ha ! mais qui a dit que simple, ça voulait dire facile ?

***

- Célestine, t'as vraiment parlé aux arbres ?
- Mais non, patates, c'est une figure de style, c'est de la rhétorique, vous ne pouvez pas comprendre...
- Pffiou ! tu nous fais peur, des fois. 
- Vos becs, les mouettes. Simplement et fermement.

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Musique: Nils Frahm, Because this must be.

16 octobre 2017

Simplicité

Photo Céleste










« Tu prendras la route, l'ancienne, celle qui grommelle entre les arbres, tu sais, celle que les Ponts et Chaussées ont abandonnée en 1910, après la construction des tunnels. C'est un chemin désormais, plein de cailloux pointus qui y ont poussé à l'aventure des hivers claquants de gel.
 Gare-toi à côté du petit pont. La route serpente à flanc de colline, tu verras, c'est doux à suivre. Les pins noirs et les érables flamboyants ombragent le parcours. Marche un bon quart d'heure, jusqu'au virage qui emmène le pèlerin vers le nord. Tu verras, il y a une maison grise, sur ta droite. Avec un vieil arbre tordu par le temps, sur le devant. Arrête-toi un peu, regarde le panorama. Assieds-toi. Oui, prends le temps, l'été indien est formidable cette année. »
J'ai suivi le conseil de Blanche, la vieille aveugle. Je suis allée m'asseoir là, à midi, les bras nus, la peau brûlante. Les yeux comme lavés d'émerveillement.
J'ai senti le paysage monter vers moi, comme un ventre dru qui se soulève. C'était la respiration de la terre. Le grand poumon tellurique gonflé d'air cosmique. L'air vibrait comme un bébé qui sourit en dormant.
Tout était simple et lumineux, ce ciel dégoulinant de bleu sur la ligne des crêtes, ces parcelles d'herbe, de prés de sainfoin, ces arbres pinceaux, ces maisons miniatures, ces collines touffues. 
Une phrase a surgi en moi, qui disait un peu ceci :  « Le malheur doit-il forcément passer par les routes ?  N'y a-t-il pas assez de place au-dessus de la tête des hommes, entre leurs cheveux et les nuages ? » 
Une phrase épinglée au hasard de lectures nourrissantes.
J'ai senti se blottir, se mijoter, de grands remous dans les replis mordorés de mon coeur, boursouflé de bonheur comme une brioche sortant du four. 
Et j'aimerais, oh oui j'aimerais, enfin j'aurais très envie, enfin je vais essayer que dorénavant mon maître mot soit ... « simplicité ». 

(à suivre)






Musique: Schubert, Sérénade

10 octobre 2017

Nuits en satin blanc

Poème pour celles. Et pour ceux.









Cette nuit 
Fluide et ardente 

Elle offre à la lune à l'été haletante
la douceur suave de ses rondeurs blanches
Ses globes capiteux 
palpitent et
frôlent le satin
N'est-elle pas
Goûteuse et divine

languide et affalée
Posée là
Immobile inassouvie
Remplie
Des eaux éclairées
De la nuit du fleuve 
Elle relève
L'ourlet du désir
De sa jupe agacée, trop serrée

son corps sage frémit
au tréfond
Laissant à son hôte délicat
Le soin d'y trouver refuge
Et la main
et les doigts
et autre chose encore
courant sous la lumière blafarde
 dans les plis du velours
et l'onde chatoyante 
L'amante ondule 
un doux vent ténu court 
sur ses cheveux fins
répandus lourdes vagues
les Moody Blues trouent l'air là-bas, au lointain du bal de minuit
Volupté sans pudeur
 insolemment 
à son amant
elle soupire
elle ruisselle
elle s'enroule
Le chat à la fenêtre s'étire 
moelleux comme un gros loukoum blanc
cependant qu'un long fil 
étourdi intenable
elle le sent doux chaud
se dévider en elle de son cocon de soi
semence féminine
odeur pâle et sucrée
langueur fébrile
tandis que sur ses lèvres fond un baiser 
mouillé de la rosée du soir
et que son corps exulte 
en un 
cri...

Ouf  il était temps ...
L'orchestre maintenant joue Un gamin d'Paris.

¸¸.•*¨*• ☆

Musique: Nights in white satin
Moody Blues