Je suis partie sans me
retourner, il y a deux mois. Sans remords ni regrets, comme dit Stephan. Avec,
serrée dans mes poings, cette force de vie qui m’épantèlera toujours.
Aujourd’hui, allez savoir
pourquoi, je m’autorise un petit coup d’œil dans le rétro.
Mon vieux bateau à la coque
trouée a retrouvé un capitaine, un vieux loup de mer. Je lui souhaite bon vent
pour manœuvrer sur la mer des Sargasses qu’est devenue l’Eduknatt. Une mer
mazoutée, et bourrée de récifs bien coupants et de poulpes géants et visqueux.
Oh, bien sûr que mon
équipage me manque un peu ce matin. Ce serait mentir que de faire semblant de
ne pas penser du tout à vous, à vos gueules enfarinées par le réveil qui a
sonné trop tôt, bien trop tôt. Vous, les vieux matelots au long cours, votre
air hagard de types qui n’y croient pas, tellement que les vacances ont passé
vite, tellement qu’il faut s’y remettre…Je pense à vos blagues vaseuses, aux
seaux de café que vous allez ingurgiter pour vous maintenir à flot et à votre
bonne humeur un peu affectée, parce que de toutes façons, il vaut mieux faire bon coeur contre mauvaise fortune.
Et vous, les jeunesses, le
front haut, bille en tête et le sein arrogant, avides de vous y mettre, encore pleines de cette
énergie faite d’enthousiasme et d’inconscience qui caractérise les débutants.
Vu la longueur de la traversée, vous avez tout intérêt à en faire des stocks
conséquents !
De toutes façons, comme disait
ma grand-mère, qui était la logique, « on ne peut être que là où l’on
est »…Vous là-bas, et moi ici.
Moi, tudieu, je sais que
vous aussi avez une pensée pour moi, ce matin. C’est vrai que je suis
affreusement à plaindre. J’ai devant moi un océan de liberté. Ça peut faire
peur ! Je regarde la mer de mon balcon. Une légère brise vient
du large soulever mes cheveux et m’envahir d’idées polissonnes. Le
soleil éclaire l’horizon comme s'il le caressait. Je suis condamnée à aller visiter des expositions de
peinture, me prélasser mollement au bord de l’eau, photographier des barques en
bois peint, déguster des fruits de mer et le soir, gratter ma guitare pour de
parfaits inconnus qui se laissent aller jusqu’à m’applaudir. C’est dur, vous
savez.
J’ai changé de rafiot, mais
je suis la même, allez. Ne vous minez pas trop pour moi, si j’ai quelques
larmes au coin de l’œil, dites-vous bien que c’est le sel qui m’irrite la
cornée.