Comme vous le savez, depuis le temps que vous me suivez, je pilote
un gros rafiot un peu rouillé, et de temps à autre, ce n'est pas de la tarte
molle que de manoeuvrer en eaux troubles.
Le pire écueil, c'est de ne pas sentir venir l'ennemi numéro un : le
cramage des circuits. Autrement dit l'épuisement professionnel.
Au fil des années, vous pensez bien que j'ai appris à m'en méfier
comme du scorbut, de cette gangrène. Ça arrive par petites touches. L'air de
rien. D'abord, on oublie deux trois trucs pas importants. On se dit qu'on
aurait dû noter. Puis un matin, on s'aperçoit qu'on a oublié un truc important.
Ensuite, les choses s'enchainent à la vitesse grand V. Tout d'un coup, le
panier des paperasses en souffrance se met à grossir. Votre cerveau commence à
crépiter en jolies petites étincelles...Il vous semble que les hommes
d'équipage ont tous dix choses essentielles et urgentes à vous demander en même temps. Les
impondérables se multiplient. Les moussaillons se vautrent dans les entreponts,
les machines tombent en panne, les avaries et les fissures ne parviennent plus à se
colmater.
Dès qu'on a réglé un truc, trois autres le remplacent, c'est
pire que l'hydre de Lerne...
Et l'autre, là-haut, l'amirouille de mes deux cales, qui m' enfonce la tête sous l'eau au lieu de me soutenir...Rien à attendre
décidément de ce côté-là. Elle a décidé de me faire boire le calcif jusqu'
hallali...Je vais pas lui faire le plaisir de craquer si près du but. Elle
n'attend que ça. Je sais, c'est pas bien de jouer les héroïnes. Mais comprenez-moi, mon sang italien en fait une affaire d'honneur. Je suis le Vito Corleone de l'édukknatt. Je cause plus, je flingue.
Après un week-end en escale au pays de la glandure bénéfique, du
rien-foutage absolu, un grand bol d'air salutaire, une cure de sommeil, et de longues heures à bichonner mon corps, l'ombre du mauvais rapace est parti.
Au cas où il reviendrait rôder en cercles concentriques au-dessus de moi, je
fourbis mes armes habituelles : l'humour, la prise de recul, la relativisation. La niaque,
le serrage de dents et de poings. Je vais pas me laisser intimider par des
dates butors... Lâche moi le burnous, j'ai envie de lui dire, au
burn-out. Ou je vais te niquer ta race.
A Pierre, que j'assure de mon indéfectible amitié solidaire.