Ceci n'est pas un canard |
Lorsque j'étais petite, je pouvais regarder avec fascination une goutte d'eau glisser sur une plume. C'était un spectacle étonnant et un peu magique pour l'enfant que j'étais. Je n'arrivais pas à concevoir que les canards, qui ont toujours le cul dans l'eau, ne fussent jamais trempés jusqu'aux os comme je pouvais l'être quand désobéissante je restais sous la pluie, sur la balançoire, à tirer la langue pour boire l'eau du ciel avec application....
Depuis, je n'ai cessé d'essayer de gagner un peu de cette souple imperméabilité pour faire en sorte que les choses négatives glissent sur moi.Mais que c'est donc difficile d'avoir le coeur enrobé de plume de canard! Non, le mien tient plutôt de l'éponge, malgré moi.
En même temps, je me dis que si je devenais imperméable, plus rien ne passerait. Je serais insensible au beau, à l'émouvant, au fragile, à l’ineffable. Et ce serait dommage. C'est un peu les limites que je trouve à l'attitude du sage sur sa montagne, qui se débarrasse de ses désirs et de ses passions humaines. Si l'on n'éprouve plus rien, certes, on ne souffre pas, mais on n'exulte pas non plus: mais pourquoi on vit, alors? tu parles d'un plaisir!
Bref, je n'en suis pas là. Je vibre toujours comme un roseau à la brise légère, et je me pose toujours des tas de questions. J'encaisse aussi, pas mal. J'accuse le coup. Je réfléchis en allant m'asseoir sur un banc au fond du jardin...Je médite.
Et je repars, et je me laisse parfois dépasser par mes émotions. Vulnérable, inquiète, et l'instant d'après sereine à nouveau, Célestine et ses petites cyclothymies, vous connaissez!
C'est simple, en ce moment, je ressemble au ciel: changeante et incertaine, passant de l'ombrageuse nébulosité à la clarté joyeuse. Je me balance, comme jadis, sous la pluie douce amère des petites contrariétés de la vie, mais avec ce bonheur furtif que je lape du bout de la langue, comme la pluie quand j'étais petite.
Je tangue. Je roule.
J'ai éprouvé une réelle inquiétude pour un être cher. C'est long, un mois sans nouvelles! J'ai eu des attentes déçues, pourtant je le sais, bon sang, qu'il ne faut rien attendre de personne! Que le cadeau vient de surcroît, quand on ne s'y attend pas.Heureusement, j'apprends beaucoup de certains, j'écoute leur expérience,je m'en abreuve, je m'en nourris, j'admire, je prends le jour. Je carpe le diem tant que je peux.
Ah! ces relations humaines si riches et si pleines de sens, ces correspondances jubilatoires, ces discussions de fin des temps, ces refaisages de monde autour d'une dive bouteille, guitare et coeur en bandoulière, ces amitiés qui se nouent! ( et celles qui se dénouent au rythme des saisons du coeur...ça, ce n'est pas facile pour la fidèle amie que je suis.)
Je suis perplexe sur l'une, et rassurée sur l'autre. La troisième m'est douloureuse. Des dos se tournent, des mains se ferment. Mais de nouveaux bras se tendent, toujours. Rien n'est parfait, tout est bien. Ainsi va le monde, c'est une aventure passionnante et fébrile. Et à la fin, une chose bien étrange.
L'année avance, mes élèves grandissent, et pas seulement en sagesse, je le vois à ma façon de les regarder de moins haut. C'est peut-être moi qui rapetisse?
Les enfants s'en vont. Ils n'en finissent pas de quitter le nid.Ma fille s'envole pour l'Amérique demain. Le long ruban de réglisse de ma vie s'enroule et se déroule avec des grâces infinies. Les soirs s'étirent mollement et les matins tremblent de promesse. Oui, tout est bien. Avec ou sans plumes de canards.