Pages

27 octobre 2011

De précieuses graines

Elle rentre de quelques jours de bonheur simple. La mer grondait magnifiquement sur les rochers, ses enfants heureux sentaient le vent .
Le vent marin. L'iode. Le sel de la vie. 
Ses parents allaient bien, ils sentaient l'âtre, au cœur de leurs montagnes saupoudrées des premières neiges automnales.
Elle revient en même temps d'un nécessaire voyage en elle-même. Elle aime cheminer ainsi , sur la grève et dans ses pensées, et se dire qu'elle a  toutes les raisons du monde  d'être contente. Au sens premier du terme.
Plus l'heure est morose, et la conjoncture incertaine, plus elle sait que la lutte pour un monde meilleur est nécessaire, mais aléatoire et épuisante, plus elle sème et récolte, au fond d'elle, les graines du bonheur personnel. Celui que chacun doit rechercher, celui que chacun peut trouver quand il a l'essentiel. Posséder l'essentiel. Avoir un toit pour se réchauffer et s'abriter, de quoi boire et manger , une famille joyeuse et vivante, une bonne santé, un métier passionnant, une tête pas trop mal faite et assez bien remplie, et cette faculté précieuse de continuer à s'émerveiller, année après année. Posséder aussi un peu de superflu, juste assez pour ne pas en être esclave, juste assez pour enjoliver d'une jolie cerise bien rouge le gâteau  déjà bien appétissant de sa vie. Un gâteau confectionné avec les plus beaux verbes de la langue française.
Lire, écrire, sortir, rêver, marcher, voir, écouter, goûter, jouir, voyager, découvrir, discuter, chanter, danser, courir, sourire, s'émouvoir, admirer, s'envoler, s'enflammer, aimer...quelle farandole! 
Alors oui, bien sûr , elle ne démord pas de sa ligne de mire: elle n'a pas le droit de se plaindre, puisqu'elle a tout. Parfois, elle ressent le vide, le manque existentiel, et ça lui fait mal, parce qu'elle est un être humain, avec ses faiblesses, et qu'elle a le droit aussi d'avoir l'impression que tout va mal. Parfois.
Mais quand elle revient de la mer, apaisée par le lent mouvement du ressac, et le miroitement des rayons du soleil sur la crête des vagues, emplie d'une joie durable et vraie, elle pense que la vie est magnifique , et qu'il serait ridicule de geindre. Elle garde son énergie pour penser à ses amis. L'ami terrassé par la maladie en l'espace de deux mois, l'amie qui voit son père s'éteindre lentement, comme une bougie, l'ami qui va perdre sa femme, celui qui n'a plus d'argent, celle qui n'a pas eu d'enfants, celui qui vient de perdre son boulot, celle qui se bat contre son ex, son patron, ou ses ados ou les trois à la fois. Ceux qui pleurent, qui se battent, qui souffrent.
Tous ceux qui n'ont pas de chance, qui ont du malheur, momentanément ou habituellement. Parfois presque structurellement.
Sa chance à elle, elle ne le fait pas exprès, c'est de savoir transformer ses épreuves en force.
Il lui en faudra pour plus tard, quand elle aussi se retrouvera, comme tout le monde,  en face des coups du sort que la vie lui réserve. La tristesse, les infortunes, les déceptions, la dépression, les revers, la maladie, la mort, rôdent comme des loups autour de chaque vie. Elle le sait. Elle sait que les loups ont peur du feu, de cette flamme qui l'anime. Elle les tient en respect, pour l'instant. 
Mais elle sait aussi que les épreuves viendront, de toutes façons. Ce sera le moment, alors, de retourner s'asseoir sur le promontoire , face à la mer, et de puiser en elle les graines du bonheur personnel.
C'est pour cela qu'elle s'entraîne, régulièrement, secrètement, à jardiner.

photo Célestine

26 commentaires:

  1. Peut-être se dire qu'on sera tour à tour celui qui rit ou celui qui pleure et s'en servir pour attirer la joie à soi...et la rediffuser. Savoir le dire, quelle chance, quelle élégance. Ne pas trop prévoir, attendre, s'abandonner à la vie....et surtout marcher sur la plage, sur le chemin, dans la ville. Marcher, regarder,écrire (si bien !) savoir que tout est grâce. N'ayez pas peur !

    RépondreSupprimer
  2. C'est sûrement cela que Brassens appelait "semer des fleurs dans les trous du nez de la Camarde"... Etre vivant, savourer les instants de plénitude, être prêt au combat contre les peines, rire, hic et nunc...

    RépondreSupprimer
  3. Vibrant hommage à la vie, chaque mot pesé, senti, vécu, serti dnas des lignes toujours plus en chair.
    Le "Elle", la première fois que je le lis chez toi, te sied fort bien.
    Si tu le veux, j'irais bien m'assoir avec toi face à la mer, en vrai !
    Je t'embrasse belle Célestine

    RépondreSupprimer
  4. Quelle sagesse, mélée d'impétuosité ! Un bel optimisme !
    C'est bien agréable à lire dès ce matin.

    Je partage avec toi le réconfort que peut apporter la mer. Dans une quinzaine de jours ce sera mon tour d'aller au bord de l'océan renforcer mon âme.

    RépondreSupprimer
  5. Très juste, la seule façon de bien vivre est de prendre la vie de face, avec tout ce qu'elle apporte et ainsi faire avec....Gémir ne sert à rien, juste à se pourrir le peu d'ardeur qui nous reste....

    belle journée avec bises..

    RépondreSupprimer
  6. Moi, je n'ai même pas besoin de la mer, je viens m'asseoir ici !

    RépondreSupprimer
  7. Quel texte magnifique, Célestine ! Je le lis ce matin en pensant aux personnes que je sais dans la souffrance et j'y puise des forces. Merci.

    RépondreSupprimer
  8. TANIA quel bonheur de lire ces commentaires de bon matin! Oui, lire les mots des autres me fait du bien à moi aussi.Tant mieux si les miens t'ont donné de la force.

    Oh! WALRUS! que tu me fais plaisir. J'aime à imaginer que mon blog est un havre. En tous cas, je le cultive en tant que tel.

    PATRIARCH tu sais combien la sagesse des Anciens est une source de progrès quotidien pour moi. j'ai toujours eu un grand respect pour mes aînés. Je ferai sûrement un billet là-dessus. Belle journée malgré la pluie.

    RépondreSupprimer
  9. Hé bien je suis bien loin de posséder l'essentiel...sans doutes est ce pour cela que j'affectionne le superflu...
    C'est étrange comme la mer provoque les mêmes effets sur beaucoup de monde. Plus ça ca et plus j'ai envie d'aller habiter face à l'Atlantique mais je me dis qu'alors, si l'océan devenait mon compagnon régulier de peines, il perdrait un peu de sa fascination.

    RépondreSupprimer
  10. SUZAME c'est tout à fait cela: renforcer son âme. Très jolie expression qui correspond exactement à ce que je ressens.

    ZENONDELLE il ne fait aucun doute que nous nous rencontrerons un jour, car la synchronicité est un de mes repères de vie. (Je ne dis pas principe, mot trop solennel pour moi). Non, un repère, comme ces petits tas de cailloux qui balisent le chemin en montagne, et que l'on appelle des "cairns".

    TANT-BOURRIN vous vous êtes tous donné le mot ce matin pour exprimer avec justesse ce que je ressens...ce qui est une preuve que mes mots ont touché chacun avec précision. Brassens est pour moi un maître incontesté, un autre "cairn" (voir Zenondelle) sur mon chemin.Et la Supplique une des plus belles de ses chansons.Pour moi, on ne peut parler de la mort qu'en écrivant un vibrant hommage à la Vie.

    RépondreSupprimer
  11. JACQUES "Tout est grâce" comme c'est joliment dit! Mais pouvait-il en être autrement,tant ce que vous écrivez entre en résonance avec mes propres mots, et vice versa...

    TOUS Comment pourrais-je avoir peur, avec des amis comme vous , qui venez poser chaque matin votre petit caillou pour baliser ma route?
    Merci de vos magnifiques commentaires. Ma journée en est toute embellie.

    *****Célestine****

    RépondreSupprimer
  12. Très chère Célestine,
    C'est ce que je ressens aussi lors de mes escapades à la mer...ou dès que je fréquente un blog ou une bibliothèque, dans l'espoir d'un coup de ♥ qui viendra illuminer ma journée...Chez toi, ça marche à tous les coups !
    Merci de ces mots que j'aurais aimé savoir écrire.
    Très belle journée, cultive bien ton jardin (-:

    RépondreSupprimer
  13. Mind The Gap Mais si, je suis sûre que tu possèdes l'essentiel: un cerveau en bon état de marche qui te permet de réfléchir sur le sens de la vie..Pour ce qui est d'habiter face à l'océan, je ne suis pas sûre que cela changerait quelque chose pour moi. C'est vrai que l'éloignement permet de le fantasmer, de le languir, de s'y préparer, d'avoir hâte de le revoir... Mais il me semble qu'il en va pour lui comme pour les êtres autour de nous: est-ce parce que nous vivons avec qu'ils perdent de leur charme et de leurs qualités? Le plus impérieux est alors de regarder les choses et les gens chaque matin comme si on les voyait pour la première fois...c'est ce que j'appelle la faculté d'émerveillement. Bonne journée!

    RépondreSupprimer
  14. CATHY Merci beaucoup de t'intéresser ainsi à ma petite entreprise de bonheur de vivre. Je suis heureuse de constater qu'elle ne connaît pas la crise, et que les amateurs sont nombreux. Cela m'apporte énormément de pouvoir partager ma passion de la vie avec autrui. Belle journée avec bises , comme dirait mon copain Patriarch!

    RépondreSupprimer
  15. je bois tes mots tant ils me font du bien , correspondent tellement à ce que je ressens , ce bonheur de vivre qui a tout moment peu se fracasser
    En te lisant , je pense forcement à notre amie Coumarine
    Ces graines de vie que tu sèmes sont comme des senteurs enfermées dans des flacons que l'on renifle de temps à autre pour vérifier que nos sens sont toujours en éveil
    Merci pour ce beau texte Célestine

    RépondreSupprimer
  16. JEANNE bien sûr que je pense à Coumarine! Et je suis sûre qu'elle a semé tant de graines à l'intérieur d'elle-même qu'elle va surmonter son épreuve, entourée par les siens et enveloppée de la douceur du manteau que nous lui tissons jour après jour en pensant à elle...
    J'aime bien l'image de tes petits flacons...Je me sens Alice au pays des Merveilles qui découvre le petit flacon: "Bois-moi"...

    RépondreSupprimer
  17. Et voilà, tout est dit...
    Bien sûr quand notre panier est plein, pourquoi geindre ?
    Je me fais vieux, mais quelle chance dis-je, car beaucoup n'y arrive pas !

    RépondreSupprimer
  18. De retour de quelques jours de bonheur tout simple au bord de la Médtérannée je me sens bien! Et quand je lis ton texte de toute beauté je me sens encore mieux! Merci:-)!

    RépondreSupprimer
  19. MAMMILOU alors tu as eu du beau temps finalement? ou seulement de la pluie? Dans ce dernier cas, je suis sûre que tu as positivé.Parce que tu es comme ça.

    ANDIAMO une jolie métaphore que celle du panier...Le difficile, tu as raison, n'est pas de vieillir mais de rester jeune, comme disait Coluche. Moi j'aime bien celle de la commode:

    http://celestinetroussecotte.blogspot.com/2009/08/la-theorie-des-tiroirs.html

    RépondreSupprimer
  20. Quelle belle écriture! Je ressens souvent ce sentiment de calme et d' apaisement en regardant la mer (c' est quand elle est agitée qu' elle m' apporte le plus). Cette impression de ne penser à rien et de se laisser emplir de cet infini m' aide souvent.
    Belle journée à toi, Célestine.

    RépondreSupprimer
  21. Bonjour Célestine,
    Il y à quatre ans, j'ai tout quitté pour vivre face à l'Océan et je remercie chaque jour pour ces joies sans cesse renouvelées dont je ne saurais me passer.
    Aujourd'hui j'apprends à cultiver les graines de petits bonheurs et c'est dans les embruns et la musique de l'Océan qu'elles prennent vie.
    Ton texte est magnifique !
    Merci pour ton petit mot dans mes Rêveries Nocturnes.
    Amitiés

    RépondreSupprimer
  22. Merci à toi, FANCEZCA, pour ta réponse immédiate et lumineuse.

    PIERROT BÂTON rien de mieux que de s'emplir d'infini.On se sent comblé et il nous semble que nos propres limites intérieures s'en trouvent repoussées.

    RépondreSupprimer
  23. Par une étrange coïncidence, tu as sûrement écrit ton article en pensant à Coumarine. Et bien, moi aussi, je lui ai consacré mon article de mercredi, d'une toute autre façon que toi mais je pense qu'on avait les mêmes pensées en tête. Bon week-end Célestine.

    RépondreSupprimer
  24. Oui je t'avoue cher PETIT BELGE que je pense beaucoup à Coumarine ces temps-ci. Ton article est très bien, j'ai beaucoup apprécié et j'ai lu qu'elle aussi était contente de ce que tu avais écrit.

    RépondreSupprimer
  25. Même quand il manque des choses vitales à l'essentiel dont tu parles, notre aptitude à passer outre, à nous régénérer et à compenser est toujours la plus forte ; avec le temps je me dis que le bonheur est de plus en plus une aptitude, un état d'esprit que seul le malheur des autres vient entacher. Alors, comme toi, face à la mer, j'emplis mon coeur d'une tendresse infinie, je hisse la grand-voile, celle qui me fait oublier la noirceur de ce monde pour n'en garder que les flammes qui dansent à la crête des vagues. Et j'aimerais pouvoir donner à Coumarine un peu de cette force, car toutes les forces unies, aussi petites fussent-elles, ont le pouvoir de ranimer les âtres éteints... Mais ce n'est que ma petite graine personnelle et je ne sais pas si je la sème comme il faut... Ma pudeur ou ma timidité dans certains domaines me coupent la parole trop souvent !

    RépondreSupprimer
  26. Continue à jardiner ainsi, chère Cel, c'est une belle philosophie.
    des bises

    RépondreSupprimer



Je lis tous vos petits grains de sel. Je n'ai pas toujours le temps de répondre tout de suite. Mais je finis toujours par le faire. Vous êtes mon eau vive, mon rayon de soleil, ma force tranquille.
Merci par avance pour tout ce que vous écrirez.
Merci de faire vivre mes mots par votre écoute.