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30 juin 2011

Je suis faite d'éponge

Comme une éponge j'absorbe. Je suis continuellement imbibée,  malaxée, tordue,  pressée, essorée de sentiments, de sensations, d'émotions. C'est comme si je quittais mon corps pour vivre plus intensément dans celui de l'autre, de tous les autres.
Drôle de sensation, quand même.
En ce moment, les larmes coulent pas mal.
Il y a la fatigue , qui m'étourdit parfois au grand soleil de juin juillet.
Il y la nostalgie de la page qui se tourne, de la fin imminente.
Les petits dessins décrochés du mur, et  le coeur qui se décroche aussi dans la poitrine.
Il y a les petits cadeaux, les petites phrases de fin d'année, les regrets, les remords, les bilans, les résumés. "Merci métresse pour tout ce que tu m 'a appri et surtout l'aurtographe."
Il y a les mamans qui réalisent soudain qu'elles ne passeront plus jamais, jamais le portail jaune de l'école, et qui pleurent un bout de leur enfant qui meurt avec l'entrée au collège.
Il y a de la musique partout en fin d'année, on chante , on danse et certains airs prennent les tripes au lasso.Les enfants si appliqués devant leurs géniteurs tellement esbaudis qu'ils en oublient d'applaudir...
Et ces idiotes de collègues qui ont demandé à partir de l'école! On s'entendait si bien...Pleurer encore dans son verre de champagne, comme si c'était logique de  fêter un déchirement...alors que l'on a envie de s'asseoir sur un banc de pierre avec un voile noir comme une paysanne corse.
Et de pleurer.
Et la fille de cette autre, là, qui réussit son concours et vient l'annoncer à sa mère à l'heure des mamans... Allez, c'est reparti, je lâche la bonde.La joie a un goût délicieux quand la rigole des larmes touche le bout de la langue.
Qu'est-ce que j'ai comme poussières dans l’œil, ces temps-ci! il faudra que j'engueule les femmes de ménage dès demain.
Larmes, eau salée, mer, éponge...la boucle est bouclée.

25 juin 2011

Soirs d'été

On ne se coucherait plus. On resterait des heures sur la terrasse, à sentir l'air doux nous caresser  le visage, à écouter les insectes converser dans les cyprès, à observer le ciel d'un œil  et les flammes dansantes du crépuscule de l'autre.
On n'aurait jamais sommeil. On figerait ses gestes pour ne perdre rien du temps qui s'allonge, de la torpeur moite du soir, du murmure des prairies. 
Le café brûlerait nos lèvres, l’azote nos poumons, les larmes brouilleraient nos yeux devant tant d'inestimable beauté. Ça sentirait le cumin, l'aubergine et  le jasmin, l'eau de fleur d'oranger, le foin coupé.
On parlerait au bout de la nuit, de choses banales et indispensables. La rumeur  de la ville, les vanités humaines, les rancœurs inassouvies, les querelles intestines nous sembleraient ridicules et sans plus d’importance que des épluchures de patates.
Ce serait l’été. La saison de toutes les audaces.




Merci à Pastelle de m’avoir aidée à relooker Célestine pour l’été.

21 juin 2011

Plage déserte

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Ce promontoire, cet oasis au milieu de nulle part, où nous allions enfants, t’en souvient-il ? Tu cueillais des oyats pour caresser mon cou de cygne, nous regardions les cormorans piquer du bec dans l’océan. C’était notre échelle de Jacob, notre haricot magique, notre vigie de galapiats. La plage abandonnée aux sels de l’automne emplissait nos poumons de chanvre et de réglisse et les pieds clapotant dans des flaques nous jetions aux orties nos rêves de conquêtes en écoutant la mer. Où es-tu désormais, mon capitaine amadoué, la frange de tes cils sauvages bat-elle encore le velours de ta joue comme autrefois, sur cette rampe de lancement où tu déclamais tes poèmes une main posée sur mon sein blanc ?
Le hasard des aigrettes frôlant de leur aile grise la frange écumeuse des ondes nous indiquait comme de mystérieux augures les caprices d’un destin que nous aurions voulu conciliant et rieur. Pourtant tu m’as quitté sur une barque sombre et je retourne parfois au promontoire sur la dune, sentir la gifle des embruns comme jadis quand tu pris ma candeur d’une volée de prince, et me laissas pantelante et extasiée au bord d’un monde humide et minéral.

19 juin 2011

Seize ans

"Quand Papa a mis la petite graine dans le ventre de Maman, il ne se doutait pas qu'un jour la petite graine chausserait du 46 et qu'elle mangerait un bâtard entier pour son quatre heures..."
Guy Bedos


Bon anniversaire, ma petite graine!

17 juin 2011

Cap Horn


J'ouvre fébrilement la porte: les dossiers ont envahi mon bureau. Leur ombre menaçante se dresse jusqu'au plafond, occultant les fenêtres en une nuit glauque et opaque. Il en coule un jus noir, fétide, dégoulinant jusqu'au sol spongieux qui se dérobe sous mes pas. Les emails bondissent de l'écran d'ordinateur en poussant des cris de gremlins grimaçants, et se perdent dans l'innommable fatras. Je tente de les récupérer  à la pince à épiler, derrière une plante verte anémique, transpirant sous les néons blafards.Ils contiennent des dates butoir, des délais de rigueur, des formulaires B112 que je dois absolument récupérer, sinon la Reine de Coeur hurlera "qu'on lui coupe la tête!"


Voilà le cauchemar que je n'ai pas fait une seule fois au long de cette semaine noire. Pourtant, j'aurais pu le faire dix fois, mais j'ai décidé de ne pas me laisser entamer moralement par le boulot.  Parce qu'au final, il vaut mieux en rire. Les exigences de l'Administration confèrent tellement  à l'absurde! Comme si j'avais plongé au coeur du royaume d'Ubu, ou bien dans les méandres labyrynthiques du Meilleur des Mondes.
Avez-vous déjà vu ce passage d'Astérix et Obélixils cherchent, dans la maison-qui-rend-fou  le laisser-passer A38?

C'est par respect pour mes lecteurs que j'ai mis ce blog  en pause. A mon grand regret.
Mais ainsi, que je vous explique,  j'ai pu régler mes petites formalités sans être obligée d'aliter mes formes (ha ha!) et me voilà toujours vivante après 73 dossiers d'entrée en sixième, 10 heures de réunions, de concertation, d'organisation pédagogique, 3 heures de rédaction de projet "musique" , 4 rapports d'accident , le  bilan financier de l'année, les commandes de l'an prochain, la préparation du Conseil d'école, l'alerte incendie et le rapport de sécurité, les inscriptions des 63 nouveaux élèves, à raison de 10 minutes minimum par élève, la liste des travaux faits (et surtout à faire dans cette école vieillissante), la préparation de la fête, les répétitions de ma petite chorale, les dernières évaluations de mes élèves, les 30 bulletins de notes,  4 voyages scolaires à organiser, des centaines de coups de fil de parents inquiets, curieux, indignés, compréhensifs, angoissés, des rapports de réunion, des tableaux de pourcentage, sans compter tous les délicieux imprévus qui émaillent chaque journée,les petits bobos, les petits conflits, les pannes, les fuites, les chagrins, les disputes, les pères énervés, les mères surmenées, les crises de larmes des uns et les erreurs de jugement des autres. Et bien sûr, quelques ratons laveurs...
Je sais que certain(e)s d'entre vous apprécieront en connaissance de cause cet indigeste inventaire à la Prévert.
J'ai l'impression d'avoir passé le Cap Horn. Un mélange d'épuisement et de fierté, les poings serrés, crispés sur le bastingage, le visage  ruisselant de tous ces paquets de mer, et de l'écume du temps, mais à la fois une rage de vivre décuplée et une sereine jubilation.

Merci à tous pour vos mots et votre patience
Célestine

10 juin 2011

En pause

Juste quelques jours, le temps que je me débarrasse de quelques petites formalités...
                                                                 

04 juin 2011

Premier bal

 

 A  travers les persiennes, dans l'air bleuté du jour, j'embrasse du regard la riante campagne, et les vibrations de l'été naissant . Pas un bruit hormis le chant des mésanges dans la glycine abritant le perron, et les bottes de mon père battant impatient, le pavé de l'allée. Le corset de ma robe de guipure me coupe le souffle. La percale de mon jupon sent le talc et la lavande. Des gants de fine dentelle blanche rehaussent ma toilette de soirée. Ma jeunesse éclatante me tient lieu de fard.

En cette fin d'après midi où les ombres s'allongent, je souris sous mon ombrelle, installée dans le cabriolet de mon hobereau de père . Le pas des chevaux rythme en cadence les battements de mon cœur. Nous nous rendons à la ville pour mon premier bal. J'ai seize ans. Ma mère arbore un air soucieux sous les fils d'argent de sa chevelure remontée en chignon, retenu par une broche de corindon. Mon père semble gorgé de fierté comme le jabot d'un coq.

Sous les lambris et les dorures du salon de madame de P. , ma marraine, se presse le joli monde de la Société . Ça froufroute, ça cabotine, ça jacasse, ça coule des œillades en aparté, ça se pavane, ça chuchote, ça frémit. Les femmes emplies de désirs inassouvis, le décolleté débordant de leurs générosités mammaires, lorgnent les hommes en habits de soie, aux rouflaquettes frétillantes, qui leur lancent en retour des regards lourds de convoitise. La musique légère exacerbe ces sentiments délétères si bien dissimulés sous le vernis des convenances. Un deux, pas de polka, un deux, pas de polka. L'orchestre enchaîne les airs entrainants. Des bras vigoureux m'enserrent la taille, je virevolte, le cœur enchamadé, étourdie par la vigueur de mes cavaliers d'un soir, par ces sensations nouvelles qui m'envahissent et me mettent le rose aux joues. C'est donc cela, le désir ?

-Qui est cette délicieuse enfant ? demande un homme à la prestance inouïe, le cheveu brillant de gomina et l’œil noir du séducteur impénitent.

-C'est Célestine de Troussecotte, monsieur de Maupassant, à peine seize ans, et déjà des yeux, des yeux ! Ciel, pleins de promesses...

-Ma foi, moi, je lui trousserais volontiers...quelque madrigal!

-Toujours badin, mon bel ami ! s'exclame Flaubert à quelque pas de là. Et là-bas, près des musiciens, on voit Degas, Manet, Zola et Alphonse Daudet qui s'enflamment pour cette jeune beauté , tendus comme des arcs, et cherchent à s'en faire remarquer, par un trait d'esprit ou un sourire appuyé.

Mais ces barbons de plus de quarante ans ne m'intéressent pas, tout célèbres qu'ils soient.

Je jette mon dévolu sur ce jeune homme charmant, aux joues pâles et aux mains fines. Il a dix huit ans, et répond au doux nom de Marcel. Marcel Proust. Il voudrait devenir écrivain, lui aussi. Dimanche, si mon père le veut, nous nous rendrons à Champigny pour une partie de campagne au bord de l'eau. Il portera un canotier et m'emmènera en barque pour me réciter des poèmes, sous les regards tendrement fâchés de ma chère mère . Et peut-être, à l'abri des roseaux, sur l'herbe tendre de la rive, me donnera-t-il mon tout premier baiser.

A cette pensée, je chavire. Je souffle ma lampe, et presse mon oreiller contre mon corps en feu. Mes rêves seront ardents, à n'en point douter.

Pour le défi du samedi, atelier d'écriture, il fallait remonter le temps...