C'était une rue pleine de rêve. L'âme des poètes y errait, comme partout à Montmartre. Monsieur Martin, notre professeur d'art à l'Ecole Normale, y avait habité, et se vantait souvent d'y avoir croisé Rubinstein, Stephane Grappeli et quelques autres artistes parisiens.
Un jour, il nous montra la litho d'Utrillo représentant, en quelques traits de crayon nerveux et précis, sa célèbre rue d'Orchampt.
Je fus aussitôt transportée des années en arrière, chez une de nos vieilles voisines, à laquelle ma mère avait eu la drôle d'idée de me confier pour une après midi. Elle possédait une reproduction de ce tableau. Au-dessus d'une cheminée dont l'odeur âcre brûlait la gorge. Je savais bien que j'avais déjà vu quelque part ces silhouettes à faux-culs et la funeste perspective cavalière des bâtiments la bordant. Je ne sais plus par quelle mauvaise magie je m'étais retrouvée dans cette maison cafardeuse, près de cette femme revêche, et abandonnée des miens.
Le noir du tableau s'accordait bien au noir général qui régnait chez cette sorcière. Noir comme sa longue jupe de vieille Corse et son fichu. Noir comme ses yeux de corbeau qui m'effrayaient. C'est fou comme la mémoire affective, sensible, olfactive reste ancrée en soi. dans les replis de l'âme. Surtout quand on a vécu une telle frayeur, à seulement cinq ans. Je passai la pire après-midi de ma vie, à me demander à quelle sauce elle allait m'accommoder dans son chaudron. Et je m'imaginai avec un haut-le-coeur mâchée par sa bouche sans dents.
-Observez les lignes de fuite, enchaîna monsieur Martin, me ramenant dans le présent.
Mais ce jour-là, la seule ligne de fuite que je pus observer fut la mienne. Je quittai le cours, oppressée par ce souvenir d'enfance.
Aujourd'hui, quarante ans après ce cours de peinture cathartique, la rue d'Orchampt a enfin pris des couleurs. Le guide tend la main pour qu'on ne l'oublie pas. Un pâle vent d'automne secoue les micocouliers. La maison de la chanteuse semble garder la rue comme un sémaphore en hommage à son talent.
Les ombres noires de l'enfance ont été absorbée par un ciel plein de promesse. Plus Sisley qu'Utrillo, au passage.
Si ça se trouve, devant la maison de briques rouges, je croiserai peut-être le Goût et sa Lumière. Ou le Passe-Muraille de Marcel Aymé.
C'est une rue pleine de rêves.
Ah la rue d'Orchamps... ce quartier c'est une invitation à se perdre, à se perdre gentiment et même plutôt seul, la rue d'Orchamps tu parles...
RépondreSupprimerBleck
j'ai écorché le nom de la rue d'Orchampt, pardon.
SupprimerBleck
Je connais ton goût pour les rêveries solitaires, quand on se perd dans une ville inconnue, le nez au vent. C’est un plaisir que nous avons en commun cher ami.
SupprimerOui c’est super joli Montmartre, et pas seulement le soir quand on cherche fortune autour du chat noir 🐈⬛ ;-)
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Tu m'a rappelé "la sorcière du placard aux balais" des "Contes de la rue Broca" de Gripari
RépondreSupprimerMais en mieux.
Tu aimes ce coin, Célestine et ça se voit !
J'ai l'impression que tu vois ce que j'y vois quand je trâine dans ce coin.
Oui la référence à Gripari était intentionnelle. Un grand classique de la littérature enfantine. Gripari est un amoureux de Paris, presque autant que toi ! J’ai aimé le faire découvrir à mes élèves …
SupprimerYak Rivais aussi et ses enfantastiques de la Contrescarpe. Fabuleux pour ta petite fille si tu ne sais pas que lui offrir pour Noël.
J’aime ce coin ? Je l’adore tu veux dire. Je n’y ai que de bons souvenirs… et la petite musique des rues de Montmartre est douce à mon oreille romantique …
Au fait j’ai découvert ce site mais tu dois sûrement le connaître déjà…
Bises réjouies
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Coonais tu celui ci ?
SupprimerJe connais pratiquement tous les lieux qui sont cités.
Heure-Bleue et moi avons dîné quelquefois à l'auberge Nicolas Flamel quand nous habitions à côté.
Montmartre évidemment et le XVIIIème.
Bref, c'est Paris...
Bisous Célestine.
« Connais-tu celui-ci ? » oui mais lequel ?
SupprimerTu n’as pas mis de lien.
Belle journée !
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Tiens c'est drôle, mon texte sur cette proposition d'écriture est une déclinaison à partir de ces deux personnages au coin de la rue. Elles sont en effet singulières, mais j'ai fini par tourner tout cela en dérision.
RépondreSupprimer« Le Goût » évoque aussi des souvenirs d'enfance. Je n'en ai pas de tels et aucun parisiens. Ces derniers, relatifs à Paris, commencent avec ma vie de tout jeune adulte. J'ai donc eu recours à mon imaginaire.
Je dis ça parce que c'est toujours frappant les textes qui « sortent » lors d'une proposition d'atelier d'écriture. C'était encore plus marquant dans mon atelier « en live » que j'ai suivi pendant pas mal d'années. On finissait par connaître les participants plus intimement par le truchement des leurs textes d'atelier.
On laisse des traces nous partout.
Les tiennes sont toujours éclairantes comme les étoiles qui t'accompagnent…
« c'est toujours frappant les textes qui « sortent » lors d'une proposition d'atelier d'écriture. »
SupprimerTu as raison, j'ai vécu ça des dizaines de fois à l'école : on donne un sujet, et on a trente façons surprenantes de traiter le sujet.
Ça me plaisait bien la rédaction...Enfin, on ne disait plus rédaction, mais expression écrite, et puis "production" d'écrit, ce qui donne une idée de la piètre opinion des législateurs (ou des scribouilleurs de programmes) quant à la richesse de l'écriture.
Bref, j'ai adoré ta déclinaison à toi. Très sympa.
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Bonjour Célestine,
RépondreSupprimerAh... Montmartre... J'adore y traîner, flâner, toujours en solitaire tout en me perdant dans la foule. Oui, parce que la foule y est souvent très abondante. Mais il faut savoir lire entre les lignes de toutes ces ombres anonymes ambulantes pour rencontrer l'âme de ce quartier. Et cette rue reste pour moi liée au souvenir d'une (vieille) amie adoratrice de Dalida (qui y avait sa maison). À chacun ses références !
Bonne semaine, Célestine. Bises.
Fabrice
La fameuse chanteuse dont je parle dans mon billet...Oui, c'était Dalida, un mythe des années 60 à 80...Tu as raison, il y a beaucoup trop de monde à Montmartre.
SupprimerEt pourtant, oui, on peut, si on y est sensible, percevoir le coeur de ce quartier battre sous les attrape-touristes...
Bises cher poète
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Que c’est joliment raconté.
RépondreSupprimerToujours ce souci du détail drôle ou piquant…vous êtes une conteuse née.
Ne nous feriez-vous pas la grâce d’un conte de Noël, cette année ?
J’en serais ravi, et je gage que votre public de fidèles aussi.
Je vous embrasse, délicieuse enfant.
~L~
Je ne sais pas si j'aurai le temps d'écrire un conte...Mais en tout cas, c'est très aimable à vous de me le demander. Cela prouve que vous aimez ma prose cher et fidèle Lorenzaccio.
SupprimerPrenez soin de vous, cher ami.
Et passez d'excellentes fêtes de fin d'année, malgré la conjoncture.
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Pierre Gripari qui n'était pas un homme sympathique a su écrire avec les enfants, la sorcière du placard est aussi écrit avec les enfants. Montmartre fait fantasmer mais grimper sans cesse a fini par me lasser.
RépondreSupprimerAh je ne savais pas...Ses histoires le sont, en tout cas, et ont toujours eu beaucoup de succès auprès des enfants.
SupprimerMais dis moi...les escaliers de la Butte t'auraient-ils rendue miséreuse ? ;-)
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La rue n'a pas beaucoup changé depuis Utrillo. Mais Rue d'Orchampt, il y a peut-être pas mal de choses qu'on ne voit pas. Je sais, elle était facile.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ton texte qui mêle habilement plusieurs strates de souvenirs et le présent.
Bises.
En tout cas, ton commentaire n'est ni hors-champ, ni hors-sujet, ni ordinaire !
SupprimerBisous cher patrick.
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Dis donc je suis sacrément en retard de lecture !
RépondreSupprimerJe rêve ou tu oublies beaucoup plus ?
C’est en tout cas un vrai plaisir de te revoir trouver l’inspiration à cette cadence !
Je ne connais pas Montmartre. Faudra quand même que je me décide à y aller depuis le temps !
Paraît que c’est si beau …
Bises
Angela
Tu publies pas tu oublies !
SupprimerQuelle étourdie !
Oui, j'ai accéléré un peu la cadence de publication ces derniers temps...Histoire, peut-être, de me prouver que ce blog n'est pas tout à fait has-been...
SupprimerMontmartre, c'est pas que beau ! C'est magique.
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Un quartier dans lequel j'aime aller flâner...
RépondreSupprimerBises et de belles fêtes à toi et à tes proches.
Lydia
❤️
SupprimerLa comparaison des deux images est très intéressante. Tout a changé entre les deux époques. On ne voit plus aucun faux-cul aujourd'hui.
RépondreSupprimerOk, je sors !
A part, peut-être, dans les talk-shows politiques... Non ?
SupprimerNe sors pas, m'n oncle, t'es trop génial !
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Montmartre, la république des poètes!
RépondreSupprimerUn lieu que j'aime en secret car piétiné par les touristes.
Je me remets en mémoire de douces balades amoureuses avec La première aimée...
Ton clin d’œil m'enchante et me fait rêver.
Bises émues.
Moi aussi j'ai des souvenirs très romantiques de ce beau quartier.
SupprimerEt de douces balades amoureuses...
Quand je te dis qu'on est frangin(e)s...
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Il nous arrive enfant de bien noircir le tableau !
RépondreSupprimerUtrillo et tant d'autres ont fréquenté ces endroits, gris parfois, et d'autres fois festifs. A présent Montmartre sait montrer patte blanche... (et colorée !!!)
Je me souviens d'une maison toulousaine biscornue et toute noire, pleine d'ombres où j'ai eu bien peur, sans doute sans raison !
J'avais oublié ce souvenir, il m'est revenu par hasard en regardant la lithographie...
SupprimerBisous douce marine
Merci de tes interventions.
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Ton nouveau billet m'inspire un billet sur mon blog .
RépondreSupprimerEn cours de rédaction, il s'intitulera "ma sorcière bien aimée" sur la base d'une expérience personnelle déjà évoquée, il me semble.... Mais j'éprouve le besoin de lui rendre justice (à cet être étranger que familièrement je qualifie de sorcière bien aimée).
Parce qu'à Montmartre en particulier, ou plus généralement à Paris et région parisienne je ne me souviens que de bons moments, de découvertes de toutes sortes.
Montmartre a renforcé en moi l'idée de m'essayer au portrait, cela depuis qu'un artiste de la place du Tertre avait esquissé mon portrait en silhouette avec ses ciseaux.....
Plus sensible personnellement en art aux portraits qu'aux paysages je profiterai donc de ta sorcière pour tirer le portrait de ma "sorcière bien aimée".
Je te laisserai découvrir ce dernier tout prochainement
Bises de Noel
J'ai publié .......
RépondreSupprimerAh ce monde des souvenirs et ce monde des interprétations !!! Nous sommes toutes et tous les mêmes, je souris quand mes filles racontent des faits de l'enfance, souvent leurs versions sont très différentes. Le fameux ressenti, le contexte, le moral du jour ? Je ne saurais répondre.
RépondreSupprimerBon je reviens à l'histoire dont tu nous parles, en cette fin d'année laissons les vilaines sorcières dans la noirceur dont elles se nourrissent, et plongeons dans le chaudron de la joie et de la belle humeur. Bises étoilées céleste Célestine, belles fêtes de fin d'année à toi et aux tiens. brigitte
J'ai aimé ton texte si vivant et qui a ravivé les souvenirs que tu as gardés de ce coin de Montmartre...
RépondreSupprimerC'est bien que tu mentionnes Le peintre Sisley.
RépondreSupprimerJoyeuses fêtes ma chère Célestine !
Ta vieille voisine me fait penser à "mes vieux", dont je parle dans un billet du même nom. À la différence prés, que jamais ma mère ne nous y aurait confiés.
RépondreSupprimer« Les ombres noires de l'enfance ont été absorbée par un ciel plein de promesse. Plus Sisley qu'Utrillo, au passage.»
Ben moi, je dirais, au passage, que ton texte est parfaitement ciselée, comme tu excelles à le faire. Mais je crois que ça, tu le sais déjà ;-)
Ta vieille voisine me fait penser à "mes vieux", dont je parle dans un billet du même nom. À la différence prés, que jamais ma mère ne nous y aurait confiés.
RépondreSupprimer« Les ombres noires de l'enfance ont été absorbée par un ciel plein de promesse. Plus Sisley qu'Utrillo, au passage.»
Ben moi, je dirais, au passage, que ton texte est parfaitement ciselée, comme tu excelles à le faire. Mais je ne crois que ça, tu le sais déjà ;-)
Je crois que nous avons tous connus une sorcière à l'image de ta vieille voisine, la mienne s’appelait mémé Mention, elle habitait rue de Berne à Strasbourg
RépondreSupprimerLes dames d'antan ont jeté leurs vertugadins, tournures, et autres modesties par dessus les moulins, qui eux aussi se sont envolés, les rues de Montmartre pleurent leurs pavés, chez Parachou on ne coupe plus les cravates... D'ailleurs qui en porte encore ?
RépondreSupprimerMontmartre est un de mes quartiers préférés de Paris. Je te souhaite de joyeuses fêtes de fin d'année et une heureuse année 2022. Gros bisous de Belgique.
RépondreSupprimerMerci à tous pour vos commentaires, j'ai été quelque peu débordée ces derniers temps...mais je vous ai tous lus avec grand intérêt...
RépondreSupprimerBises en retard
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