Cela ne s'est pas du tout passé comme cela.
Ce n'était pas dans une de ces soirées conventionnelles où le Valpolicella coule à flots et où l'ennui suinte parfois des murs. Ma robe n'était pas en panne de velours noir, mais en coton turquoise étoilé de fleurs des champs. D'ailleurs pas une robe de cocktail, quand j'y pense, mais une simple robe d'été. Pour un petit matin d'été. Juillet allumait ses incandescences à la Giono. La journée serait chaude.
Il ne portait pas ce costume classique dessiné par un créateur italien, mais une chemisette blanche et un pantalon de toile beige.
Je lui ai demandé si la place à côté de lui était libre : mais ce n'était pas un canapé chic en suédine. C'était un pauvre banc sur un quai de gare noyé de vent chaud. Nous attendions le même train.
En réponse à ma question, il répondit « Oui, c'est libre » avec des yeux qui semblaient suggérer que la place n'était pas libre que sur son siège, mais à aussi dans son coeur, dans sa vie.
Je n'arborais pas ce regard lointain ni ce demi-sourire quelque peu affecté : au contraire, mes yeux papillotaient d'étoiles et j'avais la banane. Et si mes cheveux de flamme me font ressembler un peu à cette belle mystérieuse, lui ne portait pas cette coiffure de jeune cadre dynamique et bronzé. On peut même dire qu'il tenait davantage de Bruce Willis que d'Anthony Perkins, en fait. Les verres que nous partageâmes n'étaient pas en cristal mais en carton recyclable et nous louâmes de concert ce bel effort écologique de la SNCF.
Tout comme le merveilleux couscous en barquette que nous dégustâmes au wagon-bar.
Le train nous catapultait à 280 km/heure vers le moment où il faudrait se quitter, et nous n'en avions pas envie. Les quatre heures du voyage durèrent quatre minutes.
Le temps que nos doigts apprennent à se connaître avec des frissons.
Ses mots n'étaient pas convenus, ni pourvus de ces escarbilles de silex dont les séducteurs parent les leurs, pour les rendre plus percutants. Force, douceur, droiture, et aussi une certaine fragilité se dégageaient de toute sa personne.
Non, cela ne s'est pas du tout passé comme dans les clichés peints par Aldo Balding.
L'amour se joue des codes. Des rôles que chacun s'applique à jouer, comme les personnages d'une comédie écrite d'avance. C'était notre rencontre et elle était unique, parce qu'elle devait avoir lieu là, dans l'innocence de l'instant. Réinventée.
L'amour est un cheval fou sur une lande, et depuis la rencontre du bel inconnu du train, depuis bientôt deux ans qui ont passé comme deux jours, j'écris plus grand que le ciel l'importance sublime du quotidien partagé. Quelle que soit sa couleur, des plus forts orages de chagrin aux éclaboussures bleues de bonheur.
Toutes ces petites choses précieuses que l'on ne trouve pas dans le mondain, la rêverie romanesque, ou les chimères artificielles. Mais dans le feu de la vraie vie, l'humus des projets, l'eau des larmes et le vent de l'espoir, les éléments-force de nos mains et de nos coeurs reliés. De la terre aux étoiles.
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Toile d'Aldo Balding.