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26 février 2020
Heaven can wait
C'était, je m'en souviens, une belle ferme en pierres apparentes, nichée dans un vallon verdoyant. Au milieu coulait une rivière argentée qui glougloutait parmi les herbes. Dans un enclos en liberté batifolaient de jeunes cochons bien roses et dodus. Une enseigne de fer forgé rouillé indiquait « boutique ». Nous entrâmes, et là, devant le spectacle des jambons et des saucissons pendus au plafond, devant les étalages de rosette, de pâtés et de saucisses, devant les caillettes et autres jésus parfumés, mon fils aîné qui devait avoir six ou sept ans à l'époque, s'exclama : « Mais c'est le paradis ici ! » Je dois vous avouer que mon fils a toujours préféré le salé au sucré. Il m'en donna là une preuve éclatante.
L'événement n'a que peu d'importance pour vous, sans doute, mais moi, il m'interpella gravement au niveau du vécu et de ma conception philosophique personnelle de la notion de paradis. Je compris que j'avais toujours eu la prescience que le paradis est un concept mou et éminemment subjectif.
Précisons déjà que j'ai toujours trouvé étrange de passer sa vie à espérer aller dans un endroit où il ne se passe plus rien, où l'on ne fait plus rien, où il fait toujours beau. Comme disait Woody Allen, l'éternité c'est long, surtout vers la fin...
Pourtant, les îles paradisiaques ont toujours bonne presse dans les esprits. C'est fou comme les tour operators manquent d'imagination !
Moi, je trouverais assez effrayante l'idée de passer le restant de mes jours sur une plage de sable blanc, fût-il corallien, coincée entre une mer d'opale et un ciel céruléen, sous des palmiers échevelés par des alizés à température quasi constante. Une ou deux semaines, allez, ça passe...Mais je déprimerais au bout d'un mois, je crois. En rêvant de nuages, de vent, de crocus et de primevères et de chandelles de givre au fronton d'un chalet...Et pour ne pas périr d'ennui, je pense que j'en arriverais à casser ma chaise-longue en petits morceaux pointus pour me fabriquer un mikado.
Alors, l'idée d'y passer le restant de ma mort, même pas en rêve.
Notez bien que l'enfer ne me tente pas plus...Fait trop chaud ! Et y a trop de bruit, ça braille il paraît là-dedans, bref, pas pour moi.
Je préfère penser que je me réincarnerai pour revenir ici, sur cette bonne vieille terre, où je suis si bien, même si c'est en magnolia, en crocodile ou en moulinette à persil.
En attendant, le ciel peut attendre comme disent les Grands Bretons. Mon paradis, c'est ici et maintenant. Niché au fond de mes émerveillements. Ces derniers jours, il a pris des formes variées et étonnantes : la demeure de Léonard de Vinci et ses drôles de machines, un séquoïa de cinq cents ans, la Loire gris acier étalant ses moires sous un soleil humide, un petit crachin matinal sur Angers, les éclats de rire et les premiers mots de ma petite-fille, Lambert Wilson triomphant dans le Misanthrope, les chevreuils sortant des forêts pour pâturer au crépuscule, des châteaux, un pont-canal, un évêché, un toboggan, une cathédrale, une mousse au chocolat, une chinoise hilarante et cette route merveilleuse à tes côtés, mon amour, et ces paysages variés et sublimes, le Mont Blanc tout là bas, au delà des volcans d'Auvergne...et ton sourire et tes bras en houppelande. J'en oublie, j'en oublie...
A chacun son nirvâna, son jardin d'Eden, son coin de paradis ou de parapluie, n’est-ce pas ?
11 février 2020
Cette légère vibration de l'air...
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.
Paul Eluard
Je l'ai trouvé ravissant, ce bouquet de prunus en fleurs, que Lucile m'a délicatement offert aujourd'hui. Suave, élégant. La beauté de la simplicité absolue.
Un petit reste du billet précédent, sans doute, maintenant que le bruit du torrent s'est dissipé dans les brumes de l'hier : ce bouquet m'a évoqué le Japon. A une de ces aquarelles fines que Chinou peindrait sans doute avec grâce.
C'était l'anniversaire de Claude aujourd'hui. Mon gentleman des plaines picardes, tu es loin, mais j'ai pensé à toi. Je pense souvent à toi. A Clarisse, à Léna. A ce banc où je m'assois parfois, comme dans un songe.
Jacques est passé boire le café. Le vent du sud soufflait doux. Un merle, à sept heures du matin, quand la nuit paresse encore un peu du côté de l'ouest, tirait des plans sur sa comète. Deux écureuils se fritaient la queue, on aurait dit deux flammes autour de la mangeoire aux oiseaux. J'ai pensé à Françoise.
J'ai fait des sablés à la vanille, et du thé à la bergamote.
Au marché, j'ai croisé Nadine et Jean-Yves, deux autres comètes au pas de gymnastique, trop pressés pour prendre un café. Leur cours de Pilates les attendait...Drôle de nom pour une discipline sportive. Doit-on se laver les mains avant de pratiquer le Pilates ?
Puis je suis allée chez Jean-Marc, enfin dans sa librairie, ma caverne d'Ali Baba, mon triangle des Bermudes, mon losange de Michaelis. Je n'ai plus compté le temps.
Une heure ? Deux heures ?
En sortant, j'ai vu que les nuages jouaient leur ombre contre un peu de soleil. C'était beau comme un Sisley.
Ma soeur m'a fait rire avec son billet du jour.
J'ai travaillé à un secret, je ne peux encore rien dire, chut ! Je suis écoutée, et lue... Mais cela m'a chauffé l'intérieur mieux que mon café crème au comptoir de chez Nico. Mais oui, vous saurez...
Seul mon ami Petrus est dans la confidence, mais je sais qu'il ne dira rien.
Les amis, ça tient les secrets au creux de leurs mains, serrées comme des bourgeons de marronnier. Les amis, ça ne te trahit jamais. Ça te connaît, et ça t'aime quand même.
Anne-So a passé une biopsie à la clinique, Véro s'est déchiré le tendon. Je pense à Mathilde et à son chagrin. La vie c'est parfois comme une diligence qui perd une roue sur les cahots du chemin. J'ai pensé à tous ceux dont je n'ai plus de nouvelles.
Mes journées ont mille parfums. Mille éclats. Aujourd'hui, comme chaque jour, j'ai senti l'odeur de l'amour, du café, du pain grillé, de l'herbe sèche, des pins et du linge au vent. Le fumier dans le champ. Les ravioles au pesto et le parmesan.
Et toujours, cette légère vibration de l'air que seuls sentent ceux qui ont des antennes.
Avec en plus, quelques fleurs de prunus.
Et mon amour qui me déclame comme de l'Eluard avec ses yeux et j'ai le coeur en confiture...
L'humour de ma soeur, j'adore ! |