Kirsten ne marche pas assez vite. Moi, j’ai besoin de
vitesse, d’espace. J’aime apprivoiser l’immensité d’un bout à l’autre de mes
bras. Elle pleurniche souvent, moi, j’ai la joie et la fougue chevillées au
cœur. La colère aussi, qui alimente mes pensées bondissantes. Mon cerveau n’est
jamais à l’ancre. Je comprends tout avant tout le monde et ça énerve les
adultes. Ils disent souvent que j’ai des idées bizarres, pas de mon âge. Je
suis ainsi.
Hier, j’ai trouvé deux poissons morts sur la plage. Leur
ventre gonflé et leur regard vide m’ont soulevé le foie. L’air pourtant avait
quelque chose d’indien, comme l’été en automne. Une transparence sans la
grisaille habituelle. J’ai emmené ma sœur au bout de la plage, là où la mer
envahit les rochers de toute sa force. Mes yeux lançaient des éclairs de foudre
bleue. Mes mains tremblaient de rage.
Sur le trajet, je lui ai expliqué la nature, la beauté
des fjords et des cascades d’eau glacée, les crépuscules orange et les aurores
aux doigts de roses, les zinnias qui dansent sous l’arrosoir et le bruit de la
mer, et combien tout cela risquait de disparaître si les hommes ne
retrouvaient pas rapidement un peu de raison.
Elle m’a regardé de ses yeux d’agate un peu émerveillés,
presque effrayés.
Je lui ai dit qu’un jour, je laisserais éclater mon
courroux, que j’irais secouer les puces à tous ces pisse-vinaigre qui font de
l'inconscience une ligne de mauvaise conduite. Et que le monde entier parlerait
de moi.
Elle m’a dit dans un sourire fondant: « T’es la plus
forte, Greta. »
L’empreinte de mes pieds se remplissait d’eau à chaque
pas. Je me suis sentie apaisée, comme cela arrive toujours quand on prend, dans la vie, une décision fondamentale. Le vent jouait dans mes nattes. Je savais, j’étais
sûre de moi, j’étais bien...
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Pour le devoir de Lakevio du Goût.
Chez Olivia, il fallait placer les mots
arrosoir – automne – trajet – ancre – retrouver
– indien – cascade – orange – grisaille