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17 avril 2019

Mitigée et perplexe



Sous titre : 
Billet un peu iconoclaste
ou Toute médaille a son revers.









Les événements fortuits et dramatiques ont pour effet de déclencher des réactions variées, où la palette des émotions s'épanouit tel un arc-en-ciel aux teintes étonnantes.
L'incendie de Notre-Dame est en soi un événement fortuit et dramatique. Comme tous les accidents. Il a généré en moi une salve de ressentis, comme en chacun d'entre vous. Des ressentis différents selon que l'on croie au ciel ou que l'on y croie pas. Selon que l'on soit la rose ou bien le réséda. Selon que l'on soit sensible aux symboles ou pas. Selon que l'on ait ou pas un bout d'histoire personnelle avec le lieu.
Je suis sensible aux symboles. Et dans un premier temps, ma fibre littéraire, artistique et aussi française s'est sentie atteinte, et triste. Un peu éberluée, même. Parce que le Bossu. Parce que les gargouilles, les chimères. Parce qu'Esméralda et sa fougue de femme indomptable. Parce qu'un pan de mon enfance, celui qui a étudié Hugo. Hugo qui avait quand même imaginé et décrit cet incendie, c'est surprenant...
Et puis le Paris éternel, les quais, les bouquinistes, l'accordéon, les peintres, Chagall le premier... les Grandes Orgues sublimant Bach...La faiblesse tendre que l'on a pour les joyaux d'art et d'architecture qui font la beauté de la ville et le renom de la France. Et l'appartenance au patrimoine de l'humanité...Oui, tout cela... Soupir...

Mais une cathédrale, c'est aussi, d'une certaine manière, le symbole d'un pouvoir asservissant. C'est un monument que des milliers d'anonymes ont construit, dans des conditions sans doute difficiles, et, pour la plupart, morts sans avoir contemplé le résultat de leur travail. Mais ils y allaient, le coeur content, la fleur au fusil comme en quatorze, convaincus d'oeuvrer pour leur salut éternel et la gloire de Dieu. 
Dans les divers reportages sur l'histoire de Notre Dame, il a été dit qu'elle avait été « malmenée » et endommagée pendant la Révolution. Le peuple d'alors connaissait bien le sens de ces édifications pharaoniques. Il n'en pouvait plus de crever de faim depuis des millénaires devant des ors et des trésors inaccessibles et arrogants. Il sortait de ses peurs obscures. Il osait dire stop à une élite hautaine.
Deux cents ans après, il est prêt à donner de ses deniers pour la réparer, c'est quand même étonnant, l'histoire des hommes. 
Et puis, je m'interroge aussi sur cette communion nationale interchangeable, quel que soit l'événement. On retrouve la même ferveur, les mêmes discours, les mêmes larmes, les mêmes rassemblements, les mêmes surenchères médiatiques, les mêmes déferlements sur les réseaux sociaux, que ce soit pour la Coupe du Monde de Football, pour les attentats faisant des centaines de morts, pour le décès de Johnny Halliday ou pour l'incendie d'une cathédrale, fût-elle la plus célèbre. Comme si tout se valait. Ça me gêne. Ça m'interpelle quelque part au niveau du vécu, comme disait Coluche.
Enfin, je me demande pourquoi tout à coup les Grandes Familles ouvrent largement leur pécule, et je me prends à rêver à tout ce que l'on pourrait faire de bien et de bon avec cette manne...Et je ne dis pas ça parce qu'on ferme encore des classes, des lits d'hôpitaux, des lignes de trains,  des maternités...Ni parce que la cour des miracles existe toujours, au coeur des villes, des mendiants, des Quasimodos sans dents, des miséreux. 
Non, pas taper, pas taper ! Je ne fais que m'interroger, je suis comme une truie qui doute...Et même si j'ai conscience de dissonner comme un bourdon fêlé, je ne peux m'empêcher d'exprimer ces questionnements. Sinon je me mettrais à douter aussi de ma liberté.





15 avril 2019

Instant fugace



Je connais un endroit secret. Un endroit qui murmure à l'âme.
Comme un frisson sur une peau d'ivoire, un frémissement de paupières, une vague qui lave le coeur de sa main de tissu éponge.
Les réverbères s'y prennent pour des platanes où les oiseaux tissent leurs nids de lumière et de verdure.
Un rideau de pluie scintille sur le sol et l'on y entrevoit parfois les fumées légères de fantômes enfuis. Le soleil y coule en cascade quand l'automne prend ses jambes rouges à son cou échevelé.   L'été il darde, en fanfare, ses rayons de velours violet.
Ça ressemble à Montmartre mais c'est ailleurs, je vous l'assure. Quelque part dans un renouveau, ou dans la trame de vos souvenirs. Cherchez : vous avez déjà monté ces marches qui s'envolent, vous avez croisé cette fille qui attend, sur un banc, dans un square. A la terrasse d'un café. Elle souriait. Savourant ses minutes brèves.
Vous avez sûrement eu peur de la voir sursauter, et disparaître si vous soupirez un peu trop fort. 
Ou bien vous avez été, vous-même, cette fille qui sort la nuit enveloppée d'ombre et de lune.
Qui écrit son histoire en colliers de mots sortis d'un coffret. Elle met des talons aiguilles,  épines de rose dérisoires, pour se défendre du vent mauvais et des tigres de papier sortant leurs griffes sur sa peau nue.
Les nuits d'insomnie j'y pense, comme à un rêve de sommeil évanoui.
L'espace d'un instant.
J'ai été, comme elle, certains instants fugaces, une sirène paumée, une madone oubliée. 









Pour l'atelier de Lakévio, il fallait parler de l'éphémère d'un instant.
Pour les plumes d'Asphodèle chez Emilie, il fallait placer les mots :
OISEAU FANFARE SOLEIL RIDEAU COMBINAISON VERDURE CAFE INSOMNIE 
RENOUVEAU VELOURS SOMMEIL SURSAUTER SORTIR SAVOURER

09 avril 2019

Ma vie est un livre ouvert, ou bleu...






Hâte-toi de bien vivre et songe que chaque jour est à lui seul une vie.
Sénèque





Julia Blackshaw


J'aime le roman de ma vie. Je l'aime malgré ses hauts, ses bas, ses éclats et ses fêlures, et les ponts de lianes entre les sommets et les abîmes, qui donnent parfois mal au coeur tellement ils tanguent. Chaque matin, je suis curieuse du nouveau chapitre qui va s'écrire.
Depuis quelque temps, ma barque traverse un calme lac scintillant, à la beauté inédite. Les remous et les récifs sont rentrés dans la gorge des crapauds et des serpents d'eau. Vaincus, absorbés par ma persévérance à vouloir m'en sortir. J'ai, pour musique d'âme, les geais, des piverts, les tourterelles et le chant harmonieux des fontaines. Et ce léger crépitement des premières feuilles sous le vent d'avril.
La berge moussue est douce à ma peau. Je m'y étends longuement pour voir passer les écureuils, feux follets de la forêt innocents de la finitude des choses. D'est en ouest et du nord au sud, où que se porte mon regard, les personnages de mon roman se sont apaisés. Ils tracent leur trajectoire de comètes, propulsés par l'énergie de la joie. Mes enfants sont heureux. Ma mère va aussi bien que le lui permettent ses quatre vingt neuf ans. Les âmes grises ou noires se sont tirées loin.
Sibylle grandit, comme grandit un amour, de jour en jour, sur les ailes du chemin.  Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Aussi écoutée. Aussi comprise. Tout me paraît plus beau chaque jour, parmi ces mille choses insignifiantes et pourtant tellement pleines de sens qui font le tissu de l'existence.
Je ne parviens plus à m'intéresser aux querelles, aux bisbilles, aux rumeurs sourdes dont s'abreuve le monde, et qui me semblent si dérisoires et éphémères...Est-ce grave ? Le bonheur, tout le monde en parle, mais quand on le vit, on a parfois l'impression que certains nous envient. Ou nous en veulent. A dire vrai, je m'en fiche...
A la fin de la semaine, je fêterai un énième tour de soleil. Bon sang, la terre ne tournerait-elle pas de plus en plus vite ces temps-ci ? Mais cette fois, ce sera heureuse et bien entourée que je soufflerai sur ces flammes symbolisant tellement la vie, fragile et lumineuse. J'ai une telle fringale de ce gâteau-là !
Le réel donne du corps à mes rêves. Je me suis remise en action. J'ai envie de cultiver des tomates, de marcher dans les vignes, de franchir des torrents et de découvrir sans cesse de nouveaux paysages. J'ai mille envies. Comme on découvre le corps de l'autre, émerveillé par des contrées superbes et des parfums étonnants...
Désormais, je n'ai plus le temps de repasser deux fois au même endroit, si je veux préserver celui de flâner, de contempler. Alors je fais des choix. En pleine conscience.
Oui, j'aime le roman de ma vie. Et je lis chaque page très lentement, pour qu'il dure le plus longtemps possible.





03 avril 2019

La Reine des Mots






 Histoire 
pour ceux 
qui aiment les histoires







Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits... Oui, je vous l'assure, ils se sont bel et bien produits, cela ne fait aucun doute. Ce que vous serez en droit de me demander, en revanche, c’est où, et quand. L’ennui c’est que je ne saurais le dire avec précision. 
Dans mon souvenir, nimbé de l’éclat d’une lune énorme derrière les carreaux tremblants d’une fenêtre ancienne, il me semble que j’étais assis à une table de travail, à moins que ce ne fût un bureau de chêne aux tiroirs massifs. En tout cas, c’était un endroit plat, et encombré d’objets hétéroclites, encriers, boîte à biscuits secs, livres, tampons-buvards, bougeoirs. Je dois vous avouer, pour être tout à fait honnête, que je n'étais pas chez moi, et que j’avais certainement un peu abusé, au repas, de ce vin de Xérès qui étourdit la tête dans un tourbillon, plus sûrement qu’un manège de chevaux de bois.
Bref, le silence enveloppait le soir de sa main gantée de noir. Tout le monde dormait. J’écrivais, comme à mon habitude, dans le cahier de moleskine qui me servait de journal, et recevait chaque soir mes lignes hâtives et fiévreuses. Je résumais ma journée qui, ce jour-là, avait été particulièrement vide d'événements, autant que mon regard vitreux observant la campagne endormie par la nuit. La suite devait me faire mentir.
Car un mouvement inhabituel attira mon attention, du côté ouest de la table. L'une des deux bougies se déplaçait toute seule, dansant comme un feu follet sur une tombe.
A y bien regarder, elle ne bougeait pas par elle-même : a-t-on jamais vu cela ? Non. 
Elle était mue par un tout petit personnage que j’identifiai assez rapidement comme étant un enfant. Mais quand je dis petit, c’était vraiment un tout petit garçon. Il devait mesurer deux pouces, à tout casser. A peine plus que la chandelle…
Le plus étonnant, c’est que la deuxième bougie avait changé de place elle aussi, et qu’elle éclairait maintenant mon gros livre de contes, ouvert. J’en étais l’auteur, et pas peu fier. J'adorais raconter des histoires.
Et là, allongée nonchalamment au mitan d’une des pages, une gamine aussi peu haute que son camarade promenait son doigt affairé sur « l’histoire de la Princesse Rosette ». Pas plus effrayée que cela qu’un géant à moustaches la dévisageât d'un regard sévère.
- Qui êtes-vous, les mioches ? me hasardai-je à demander.
- Nous sommes les petits génies de la lecture, répondit-elle sans crainte d'aucune sorte. Nous venons vérifier que dans chaque maison, les enfants puissent lire des histoires estampillées par la Reine des Mots.
- Ah bon. Et mon histoire vous paraît-elle convenir ?
- Ma foi, elle est assez drôle et bien tournée. Nous l’adoubons, dit la liseuse.
- Si, si, elle a dou bon, signor, ajouta l’espiègle petit porteur de flamme.
Je fermai les yeux de plaisir, celui que chaque auteur éprouve quand on titille gentiment le poil de son ego de plumitif.
Quand je les rouvris, mes petits fabuleux s’étaient dissous dans l’air. Ça alors !
Plus tard, et même longtemps après, j’évitai de parler à mon éditeur de la Reine des Mots et de ses trolls. Je craignais qu’il ne me soupçonnât de délirium très épais et ne me coupât les vivres. Mais une secrète satisfaction allumait dans mon œil gris une lueur d’étoile. Et je brûlais, évidemment,  de rencontrer cette fameuse Reine des Mots, ne fût-ce que pour voir à quoi elle ressemblait... mais qui aurait pu me dire où elle créchait ?
Vous le savez, vous ?

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Pour les Impromptus, avec un incipit de Camus.
La photo est de Val Tilu, que j'adore. Allez découvrir son univers.


Val Tilu, le Petit Peuple







Les contes de fées ça craint,
Aldebert et Charles Berling