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30 mars 2019

Le coeur slow


« Se dire qu'il y a, over the rainbow, 
Toujours plus haut le soleil above, 
radieux. »
S. Gainsbourg








Une touche de rose effleure de ses doigts d’aurore les plus hauts sommets. Les Aiguilles d'Arve me transpercent de leur beauté de chat. On dirait une aquarelle de Samivel. Ces quelques jours au cœur des Alpes ont une saveur d’infini. Par cette conjonction ineffable de hasards et de chances qui m’ont amenée là, sur les ailes d’un ange.
Je suis encore la même : cette petite fille qui voyait de sa fenêtre le Pain de Sucre et le Chapeau de Gendarme de son enfance, sidérée par la force minérale de ces océans de roches. Effrayée et subjuguée par leur tumulte silencieux, leurs plis torturés, comme un drap froissé par une main gigantesque. 
Dans le sac de mes délices emmêlés de désir, il y a cette pureté du ciel, et ce bleu insensé que l'on voit, incrédule, ébahi, sur les albums d’alpinisme. Un bleu presque noir. Le blanc qui dévore l’espace et emplit les yeux d’éclairs ophtalmiques. L'univers réduit à deux couleurs.
Les skieurs sont rares en cette hors-saison. Moi qui n’ai connu que les files d’attente des vacances scolaires, et le chahut des pistes surpeuplées, je les observe, étonnée : ils glissent dans la poudreuse, petits points esseulés, comme des poissons clowns aux teintes psychédéliques noyés dans le blanc absolu. Rose indien, bleu turquoise, jaune fluo. Le ski est un plaisir un peu suranné, en ces temps décadents que nous vivons aujourd’hui. Les stations de ski semblent figées dans leur philosophie des années soixante, démesures architecturales des promoteurs et culte du plaisir de l’immédiateté sans souci des lendemains…
Même si la prolifération des barres d’immeubles a été heureusement stoppée, au profit de constructions plus harmonieuses, les canons à neige, les spots de nuit, les télésièges, les dameuses et les patinoires n’appartiennent plus à notre époque où il faudrait concentrer toutes les énergies à préserver l’atmosphère et à cultiver des légumes.
Mais foin des pensées interlopes à en perdre son latin. Goûtons la parenthèse qui chavire. Le parfum des cimes. Accoudée au balcon du studio comme si c’était la margelle de ma vie, je cueille l’instant et profite du paysage avec cette fièvre de l’urgence qui ne me quittera jamais. Doucement sereine. Le coeur slow.









Musique Jane Birkin
Photos personnelles.
Merci à mon ami Claude pour le coeur slow. Délicieuse expression que je lui ai empruntée sans permission.
Pour les Plumes d'Asphodèle chez Emilie, sur le thème du Carpe Diem, il fallait inclure les mots :


PLAISIR HASARD PROFITER CUEILLIR AUJOURD’HUI LENDEMAIN ROSE SEREIN POISSON PROLIFERATION LATIN IMMEDIATETE MARGELLE DESIR DECADENT DEVORE








21 mars 2019

Sourire aux étoiles






« La perfection est atteinte, non pas quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à enlever. »

Antoine de Saint-Exupéry







Photo Céleste


Toute l'existence des Van Gujjar tient dans un sac posé sur un âne.
Ils n’ont rien, et pourtant, ils sourient.
La joie coule, telle une onde bienfaisante, dans chacun de leurs gestes…
Ce peuple berger vit au cœur de rudes contrées himalayennes, parmi les buffles et les chevaux, accrochés entre l’ubac des torrents fougueux et l’adret des verts pâturages cernés de sapins noirs. Ils dorment dans la poussière, serrés autour du feu. Le soleil éteint la lumière chaque soir, et la rallume le lendemain.
Leurs ciels de nuit sont époustouflants…
J'ai regardé « Terre Inconnue ». Je me suis régalée, une larme émue aux cils, d'assister à l’immersion de cet homme occidental, beau, souriant et tout pétri d’émotions, dans cet univers singulier, dépouillé, loin de tout repère, et surtout loin des réflexes consommateurs de notre monde fou…
J’aime cette émission. Ses détracteurs crient peut-être à la mise en scène, à la manipulation d’images, aux bons sentiments. Je les laisse aboyer leur amertume et leur mépris.

Ah, les facéties du hasard… il se trouve que dans le même temps, un ami à qui je faisais visiter, en quelques photos choisies, mon havre de simplicité, s'étonna :
« Mais tu n’as rien ! »
Moi, je n'ai rien ?
Qu’en penseraient les Van Gujjar ? Ils seraient sans doute surpris par la relative élasticité du concept de « rien »…
Cela m’a néanmoins titillée au niveau de l'hippocampe. J'ai l'impression d'être immensément riche, à côté d'eux. J'ai conscience de cette chance. Mais tu as raison, mon ami, j'ai réussi mon détachement.
Je me suis séparée des choses inutiles, encombrantes. Je me sens riche de choses impalpables, subtiles, profondes, et mon univers familier s’est allégé du superficiel, du futile, de l’anecdotique. J’ai choisi la fluidité sobre, plutôt que la pesanteur pâteuse du superflu et de l’envahissement matériel.
Je ne pourrais imaginer un retour en arrière. Mon petit trois-pièces, tel qu'il est,  serait un palais pour les Van Gujjar,  puisqu’il y fait chaudouillet, que le sol brille et que l’eau sort en abondance des robinets. 
Mais c'est un palais idéal comme le paletot d'Arthur : où que se pose mon œil, la sobriété des lignes me réjouit l’âme. Chaque chose a un sens. Une histoire. Quelques objets à valeur sentimentale, des cadeaux, deux trois photos auxquelles je tiens. Mes livres fétiches. Quelques ustensiles indispensables. Peu de meubles. Beaucoup de lumière.
Mes chamades sont d’une autre essence désormais. Mon cœur ne vibre qu'à Être, loin de la passion obsédante de l'Avoir.
C’est sans doute mon grand point commun avec ces gens du bout de la Terre :  nous sourions aux mêmes étoiles et cela nous rend heureux.
Et ce soir, de surcroît, l'énorme super lune nous éclaire de toute sa beauté et réjouit nos cœurs. L'Amour, la Vie, les étoiles. Que demander de plus ?

 


Musique: Adagio Trio - Wayfaring







Pour l'atelier d'Olivia, il fallait placer les mots:

ubac – fluidité – aboyer – berger – geste – feu – poussière – onde – retour – éteindre – chamade.