J'entends souvent dire de moi que je suis facile à vivre...Ça fait plaisir! D'autant que c'est très difficile d'être facile! Mais comme les gens n'en sont pas à une contradiction près, ils me reprochent aussi souvent d'être difficile à comprendre...Alors ça, c'est un peu facile, m'sieurs dames! Faudrait vous entendre.
Non, vous avez raison, vous savez bien que j'assume mes contradictions.
En tous cas, c'est facile de me faire plaisir: tout me va, tout m'émerveille, je suis la reine de l'esbaudissement maternel devant le collier de nouilles. Je prends tout ce que l'on me donne avec bonheur (sauf les baffes et les coups de pieds au cul, quand même! Pas folle la libellule!)
Alors quand le facteur sonne (deux fois), un petit matin d'octobre lumineux et doux, pour m'apporter un petit paquet surprise, une pierre précieuse, comme l'amitié, un cadeau imprévu, subtil et délicat, un délicadeau en somme, moi je dis que c'est la vie qui m'offre le plus beau des présents...
Oui, y'a comme ça, des matins de miel où l'on reçoit...du miel.
Et comme avait répondu un jour mon petit bouchon de trois ans quand on lui avait dit de ne pas pleurer:
"Je pleure pas! Je perds de l'eau! "
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29 octobre 2013
27 octobre 2013
Parler sans savoir
Au jardin de mon père tous les oiseaux du monde vont y faire leur nid |
Une petite phrase de ma prof de philo préférée est entrée dans mon conduit auditif, l'air de rien. Elle a creusé silencieusement une galerie de termite dans mon cerveau ramolli par l'alanguissement vacancier (autant dire qu'elle y est entrée comme dans du beurre) et vient de toucher le centre de la réflexion métaphysique.
"Ne doit-on évoquer les choses que lorsqu'on les vit ? "
Une petite question anodine qui ressemble furieusement à un sujet du bac...et qui a réveillé en moi des sentiments embrouillés comme une pelote de laine "Bergère de France" échappée d'une corbeille à ouvrage et récupérée d'une griffe distraite par un chaton curieux.
Je vais vous éviter la thèse-antithèse-foutaise, de crainte que vous ne partiez en courant. Déjà que la longueur risque de rebuter certains! Mais il me faut débrouiller un peu cette pelote...
"Ne doit-on évoquer les choses que lorsqu'on les vit ? "
Une petite question anodine qui ressemble furieusement à un sujet du bac...et qui a réveillé en moi des sentiments embrouillés comme une pelote de laine "Bergère de France" échappée d'une corbeille à ouvrage et récupérée d'une griffe distraite par un chaton curieux.
Je vais vous éviter la thèse-antithèse-foutaise, de crainte que vous ne partiez en courant. Déjà que la longueur risque de rebuter certains! Mais il me faut débrouiller un peu cette pelote...
Spontanément, et n'écoutant que mon furieux besoin de liberté, j'aurais tendance à répondre non. Non, on n'a pas besoin de vivre les choses pour les évoquer. On peut parler de tout, ( certes pas avec n'importe qui, comme dit le vieil adage) et évoquer des choses qui ne nous sont pas encore arrivées, ou qui ne nous arriveront peut-être jamais. On peut évoquer le pays que l'on aimerait visiter, ou le gain du gros lot, mais aussi la maladie, l'accident, le chômage, la catastrophe nucléaire, l'inondation, la mort d'un proche ou, comme dans le billet de mon amie, la douleur de perdre un enfant, et se demander ce que l'on ferait si...
Non, rien ni personne ne nous empêche de nous projeter même si l'on ne sait pas qu'elle sera notre réaction si cela arrive réellement.
Cependant, certaines personnes que j'ai croisées dans ma vie m'ont péremptoirement affirmé que l'on ne pouvait pas parler si l'on ne vivait pas les choses. Combien de fois ai-je entendu:
" tu ne peux pas comprendre"
" ne parle pas de ce que tu ne connais pas"
" tu ne sais pas ce que c'est"
" tu verras quand ça t'arrivera"
et autres sympathiques douceurs dites de surcroît, parfois, avec une espèce d'air condescendant me laissant démunie et piteuse dans mon désir d'empathie. Je me suis souvent dit, pour les excuser, et avec mon penchant naturel à ne pas trancher et à essayer de comprendre, que la douleur était telle qu'elle leur troublait le jugement, et les empêchait de voir que je ne cherchais qu'à les rassurer, tenter de les comprendre justement, et en tous cas compatir. Et que de toutes façons, on ne peut jamais se mettre à la place de l'autre.
Je sais maintenant que certaines choses sont indicibles et incompréhensibles pour ceux qui ne les ont pas vécues. Mais le devoir de mémoire nous amène malgré nous à devoir les évoquer, ne serait-ce que pour éviter qu'elles se reproduisent. Nul besoin d'avoir vécu l'enfer des camps pour parler de la Shoah avec des élèves, c'est évident. Ni d'avoir fait les tranchées pour étudier l'enfer de Verdun.
Je sais aussi que certains auteurs à succès ont écrit des romans se passant au bout du monde sans jamais être sortis de chez eux...Et que l'on peut être une vieille demoiselle anglaise un peu "coincée du cul" et écrire des romans échevelés et des passions torrides sans avoir jamais connu l'amour ni même vu le loup...
Si l'on ne devait parler que de ce que l'on connaît, que deviendraient les discours emphatiques de nos chers édiles? De quoi parleraient-ils soudain? De leur dernière Rolex, ou de leurs vacances à Megève? Ce serait la fin de nos politocards qui ne savent même pas le prix de la baguette...
Il n'en reste pas moins que cette sensation prégnante de n'avoir pas le "droit" de parler de ce que je ne connais pas m'a certainement donné cette boulimie de vivre, vivre le plus d'expériences possibles..avoir des enfants, écrire, marcher sur des fils tendus, voyager, décrocher les étoiles, jouer de la musique,monter haut, nager dans la mer et connaître les joies et les tourments de l'Amour...ah, l'Amour!
Mais aussi accepter de ne pas avoir de réponse sur ce qui se passera après cette vallée de larmes où, au milieu, coule une rivière. La belle rivière mystérieuse de la vie et de la mort.
Alors oui, chère Zénondelle, c'est vrai, tu as raison, on peut parler de ce que l'on n'a pas vécu. Tu vois, mon père est encore bien là, bien vivant, mais en regardant ce coin de jardin qu'il affectionne, et les feuilles joncher ces marches où il aime s'asseoir, la fragilité des choses m'a étreinte et je n'ai pu m'empêcher d'évoquer sa mort. J'en pleure encore et ma gorge me fait mal de s'être trop serrée.
Parler sans connaître est peut-être une façon de conjurer le sort. Ou plus vraisemblablement de se préparer à l'inéluctable...
Et merci, bande de vous, de m'avoir lue jusqu'au bout... ^^
23 octobre 2013
Mademoiselle
On peut se demander qui a décidé tout d'un coup de supprimer le mot " mademoiselle" des formulaires officiels.
De vieilles barbes sans doute, qui se sont dit: "sacrifions à la mode de la parité, et décidons que toutes les femmes s'appelleront " madame" ."Bon, allez, soyons bons princes (enfin, bonnes princesses ? Ça se dit, ça? ) l'idée est louable. Qu'on le veuille ou non, à la base, (au moyen âge) c'est bien une part de notre vie sexuelle qui s'affichait au grand jour par cette différenciation. Demoiselles et damoiseaux étaient censés être puceaux...oui, mais " mondemoiseau" n'a jamais été le pendant de mademoiselle. Mondemoiseau n'a jamais existé sur les papiers officiels. Et pourquoi donc?
Messieurs, vous êtes "monsieur Untel" toute la vie, et ce, de votre premier poil sous le bras jusqu'à l'heure de votre mort, ainsi soit-il.
Tandis que nous, commençons joyeusement notre vie par être "mademoiselle"... ah, mademoiselle...Ça rime avec miel, avec ciel...Écoutez comme le mot est agréable et sautillant, frais comme une rose et virevoltant comme une libellule, il a le cheveu long flottant en boucles éparses sur les épaules, la taille mince, les ongles nacrés et le pied mignon.
Et dès que nous nous avisons de dire "oui" devant le maire ou le curé, nous voilà devenues du jour au lendemain "madame".
Observez-le, ce mot, empesé comme un corset, ou comme une robe de lourd brocart. Madame, ça vous a le chignon strict, le sein alourdi par les grossesses et la taille épaisse, un mot austère et vertueux, un mot qui regarde passer les jours gris et sans espoir comme derrière les vitres d'un Manderley sinistre et glacé. Et vieux.
Vous me direz, il n'y a qu'à pas se marier...
Observez-le, ce mot, empesé comme un corset, ou comme une robe de lourd brocart. Madame, ça vous a le chignon strict, le sein alourdi par les grossesses et la taille épaisse, un mot austère et vertueux, un mot qui regarde passer les jours gris et sans espoir comme derrière les vitres d'un Manderley sinistre et glacé. Et vieux.
Vous me direz, il n'y a qu'à pas se marier...
Oui, mais non, parce qu'en plus d'indiquer au monde si oui ou non nous avons, une fois au moins, convolé en justes noces, ces mots marquent aussi notre âge. Mariées ou pas, a partir d'un certain âge visible, on ne vous appelle plus que madame...
Les actrices ne s'y trompent pas, qui se font appeler mademoiselle Mireille Darc, mademoiselle Isabelle Adjani, mademoiselle Emmanuelle Beart, mademoiselle Catherine Deneuve... Elles ont bien compris que dans l'inconscient collectif, une mademoiselle est toujours plus jeune qu'une madame...Bon d'accord, elles sont obsédées par leur image, leur désir narcissique de plaire et leur nombril sur-dimensionné. Oui, moi aussi, je sais, je sais...
Donc, moi, si j'avais été en position de décider, je me serais réuni hémicyclement avec mes collègues, et je me serais dit ceci: " Gardons le mot "mademoiselle" pour toutes les femmes. Cela évitera d'appeler madame une gamine de seize ans, et toutes les autres se sentiront éternellement jeunes. De plus, cohérence des cohérences, l'appellation officielle sera en conformité avec l'état civil, qui veut que le seul nom valable soit le nom de jeune fille."
Eh oui! Nous aurions été Mademoiselle Unetelle toute notre vie. Quel bonheur!
Mais voilà, je ne suis pas députée, on ne m'a pas demandé mon avis, je me contenterai donc de garder, le plus longtemps possible, l'allure d'une jeune fille, une silhouette pas trop empâtée, le pas alerte et la cuisse légère. Et de sourire à la vie, c'est le meilleur des liftings...
Car, il n'y a pas à tortiller, quand mon boulanger me dit " Alors mademoiselle, qu'est-ce que ce sera aujourd'hui ? " j'ai envie de l'embrasser sur la bouche.
Miss Celestine, forever...
20 octobre 2013
Petites boîtes
J'avais sept ans, et déjà un caractère bien trempé. Ne vous fiez pas à ma petite frimousse angélique, je bouillonnais en réalité d'une ardeur peu commune.
Cette vieille chanson de Graeme Allwright que je découvris à l'adolescence ...où il était question de petites boîtes toutes pareilles, jusqu'à la dernière, me glaçait le sang...
Mon institutrice avait écrit à l'encre rouge sur mon carnet: "Célestine sait ce qu'elle veut". Inaugurant une longue litanie d'appréciations du même genre qui devait m'accompagner jusqu'à l'école normale, "Forte personnalité"..." têtue", "obstinée", "beaucoup de caractère", "brillante y compris dans ses répliques aux professeurs" "tête de classe" "préfère commander qu'obéir"...
Après il y a eu la vie, il y a eu le temps, et j'ai choisi librement les boîtes dans lesquelles je me suis glissée.
Fonder une famille, créer des êtres humains, n'est-ce point étonnant lorsque l'on y pense? Voilà quelque chose qui ne m'est jamais apparu comme une prison. Au contraire.
Faire le métier de transmettre. Une belle boîte un peu malmenée (et malmenante aussi parfois) qui m'abrite depuis si longtemps, et pour laquelle je me bats.
(Même pendant les vacances, vont dire certains...oui, c'est un peu vrai)
Mais malgré toutes ces années, l'oiseau rebelle en moi ne connaît toujours pas de lois. Je défends farouchement ma liberté, comme une louve. Les bruits de bottes, les bruits de chaînes font toujours un bruit lugubre à mes oreilles. Je les fuis. Je m'envole. Et mon esprit se pose plus loin, plus haut, où bon lui semble, sans considération de droite ou de gauche ou de milieu. En n'écoutant que mon coeur qui palpite.
Je suis toujours ardente et peu commune. Je le reconnais, j'aime sortir du lot. Et suivre des chemins détournés.
Le regard droit et clair sous ma frange, j'aime toujours les pull fins et les jupes à carreaux écossais. J'ai juste laissé tomber le col Claudine, trop sage pour moi.
Édit. du 22 octobre . Eh bien vous l'avez tous deviné (ou presque) c'est bien moi la deuxième frimousse en haut à gauche, avec mon petit col Claudine et ma frange légèrement relevée par un coup de vent intempestif, et ma petite tête qui penche un petit peu à gauche...et mon air grave, pas très souriante (j'ai changé depuis, je ne sais plus ne pas sourire sur une photo) j'avoue que l'on ne voit pas bien la jupe plissée à carreaux, mais véridique, je m'en souviens encore de cette jupe! Et de mon pull qui était rouge.
18 octobre 2013
Le cri
La falaise et la mer faisaient l'amour en contrebas.
Elle regarda l'écume furieuse de leur lutte, les assauts des flots puissants contre la craie fragile des murailles blanches.
Elle regarda le vent, et la pluie et le vert noyant les alentours.
Elle regarda sa vie, le sable de sa vie coulant entre ses doigts.
Elle regarda ses pieds, tanguer au bord du précipice. La poisseuse vanité des choses quotidiennes, les barreaux derrière lesquels ses amies s'enfermaient, son sentiment de liberté à elle, floué par les vents contraires, elle rebelle, si rebelle toujours, si pleine de ce bouillonnant et impérieux désir de vivre selon ses propres sursauts. De faire bouger les lignes, de sortir des rails.
Elle ne résista pas contre l'envie de crier, de hurler à tous ces ronds-de-cuir, ces ronds de jambes, ces mous du genou et du cerveau, ces creux du bulbe, ces ratatinés du coeur "Allez tous vous faire foutre!"
Son cri se perdit dans le fracas des vagues.
Elle respira très fort pour retrouver son envie d'écrire, de rire, de sourire. La paix lui fit un lac.
Elle sentit doucement se calmer sa tempête intérieure.
16 octobre 2013
Simplissime
Sur
le blog ami où j'ai trouvé cette amusante allégorie, elle trônait seule au
milieu d'une page blanche.
C'est
vrai que le message se suffit à lui même. Mais je me suis prise à imaginer
quelques développements autour de l'idée force. L'on me pardonnera d'être
bavarde, n'est-ce pas?
Ah,
oui, la vie serait parfaite si nous possédions ces quelques commandes simplissimes!
Imaginez.
On
utiliserait le retour en arrière en fin de vacances, pour en
reprendre une petite lampée avant la rentrée. Et bien sûr, à l'échelle de la
vie elle même, dès que l'on se sentirait devenir vieux, hop, un petit zap, et
ça repart! Je me recalerais volontiers sur dix-huit ans, quant à moi...histoire
d'être en accord avec mon âge mental...
La pause nous permettrait de faire
un arrêt sur l'image sur tous ces moments délicieux mais fugaces que la
vie nous offre, et pour lesquels on n'a pas le temps d'aller chercher
l'appareil photo. Jules en équilibre sur son tricycle, Lola qui fait sauter sa
première crêpe, Papi qui s'est endormi assis le menton sur sa canne. Mais
aussi, une étoile filante, un daim rencontré au détour d'un sentier, un vol de
cigognes, ou le regard d'un bel inconnu...
Il
suffirait d'appuyer sur répéter pour
revivre à volonté un moment qui nous a plu. Un moment d'exception, où le coeur
bat la chamade. Je me suis demandé lequel je choisirais.La vie ne vaut d'être
vécue que pour ces moments-là, et j'en ai eu tellement déjà!
La
touche arrêt, véritable remède miracle et
définitif pour stopper net tout ce qui est affreux, tout ce qui est caca,
les coups du sort, les chagrins, les pertes, les mauvaises nouvelles, la
laideur, la violence...et les discours oiseux des politicards.
Un
petit coup d'avance rapide résoudrait
une bonne fois le problème de l'ennui chaque fois que l'on trouve que le
temps s'englue comme dans un épisode de Derrick: ce serait vraiment royal dans
certaines conférences pédagogiques! Ou pour le montage de l'armoire glütflück d'Ikéa...
Enfin,
pour tous les carrefours de l'existence où l'on doit faire des choix, on
laisserait la lecture
aléatoire décider à notre
place, arbitrairement, comme sur un coup de dés.
Alors,
elle est où, la zapette magique? Une forte récompense, sous forme de trois
caramels mous, à qui me l'apportera sur un plateau d'argent.
13 octobre 2013
Perdue dans la forêt
Elle l'avait imaginé comme un père Noël, mais un père Noël
habillé de vert. Avec des fragments de givre comme de petits diamants accrochés
à sa barbe. Elle avait imaginé la montagne frémissant sous la première neige.
La brume de la vallée qui monte lentement, noyant dans son étole soyeuse le
paysage, rendant flous les contours.
Et cependant que dans son fauteuil, bien à l'abri, elle se
laissait envahir par une douche chaude d'énergie dans son ventre et au-dessus
de sa tête, comme un mini-soleil censé apaiser ses tensions, en conversant
doucement, et à bâtons rompus, grâce à la magie du téléphone mobile...
une crainte irrationnelle avait pointé, celle qu'il ne retrouvât point
son chemin dans la montagne crépusculaire. Elle s'était mise à s'inquiéter.
Il lui restait, dans quelque coin obscur de son cerveau,
quelques peurs incontrôlées qui devaient forcément remonter à l'enfance. Elle
se demanda si elle ne s'était pas perdue dans la forêt, étant petite...Aucun
souvenir. A moins que le conte du Petit Poucet ne lui eût agrandi les yeux
d'effroi plus que de raison, à un âge où l'on a la comprenette friable et la
crédulité ravageuse...
Les forêts-cathédrales où le bruit de la cognée résonne, les
fûts longilignes dont la tête touche le ciel, lui rappelaient cette poésie de
Ronsard "contre les bûcherons de la forêt de Gastine" qu'elle avait
apprise vers l'âge de huit ans:
"Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras
Ce ne sont pas des bois que tu jettes-z- à
bas
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à
force
Des nymphes qui vivraient dessous la dure
écorce?"
Ce texte avait imprimé en elle une sorte de
dégoût...(d'ailleurs, c'est ce qu'elle entendait en récitant: "lequel
dégoûte, à force...") Le sang des nymphes qui giclait des saignées
pratiquées par des bûcherons cruels dans les troncs de ces pauvres arbres,
était une image insupportable. Les êtres surnaturels, grimaçants et
maléfiques habitant une forêt, lourde de symboles psychanalytiques, peuplaient
ses cauchemars de petite fille.
Maintenant, évidemment, plus d'elfes, plus de trolls. Elle
adorait la forêt. S'étendre sur la mousse et embrasser les arbres. Y oublier
ses tracas. Y respirer l'air frais.
Mais son amour de la nature, celui de la montagne, des
petits chemins escarpés et tout mousselinants de verdure, des rais de lumière
dans les mélèzes, n'avaient jamais eu totalement raison d'une
étrange peur: celle de se perdre. Ou pire: celle de perdre un être cher.
Comme dans un labyrinthe, dans le brouillard, dans la neige. Ou dans une ville
inconnue. Le jour où, au cœur de Narbonne, elle avait cru égarer sa fille de
douze ans, le sien, de cœur, s'était arrêté de battre pendant vingt
gigantesques minutes. Une autre fois, c'est un de ses fils qui s'était perdu
pendant une randonnée. Soudain, elle ne l'avait plus entendu babiller derrière
elle. La terre avait semblé s'ouvrir devant elle pour l'engloutir. Jusqu'à ce
qu'elle l'eût retrouvé, nonchalamment appuyé contre la voiture. Et serré dans
ses bras à l'étouffer. Elle se souvenait aussi de ce collègue qui, au début de
sa carrière, avait égaré un élève dans la forêt de Lente, que l'on avait
retrouvé à la lampe de poche à neuf heures du soir, et les terribles
conséquences que cet événement avait eues à l'époque.
C'est pourquoi elle prit soin de demander au père Noël vert
qu'il lui envoyât un texto sitôt revenu au refuge. Juste histoire d'éloigner
les mauvais esprits.Et sitôt raccroché, elle réalisa que désormais, saint Gépéhesse veillait sur les marcheurs plus sûrement qu'un dieu lare. Et elle se moqua gentiment d'elle-même...
08 octobre 2013
Il est des journées...
Il est des journées-sofas, lascives et languissantes, des journées-promenades, où l'on allonge le pas sur des chemins de terre rouge dominant des mers calmes ou moutonnantes, des journées-papillons, où l'on butine chaque instant avec des mines gourmandes. Chaque journée a son empreinte, son parfum.
Aujourd'hui fut une journée-train. Pas train-train, non, une journée véritablement TGV! Une furie de journée, sans une pause.
Lancée à une vitesse
étourdissante, démarrée à toute berzingue à 8h 09, la grosse pendule de
l'école dégoulinant comme une montre molle, et moi, mal assise dans
l'exigu compartiment de mes grises obligations, je voyais défiler le paysage de
mes émois, au rythme du bruit familier de l'ordinateur et de la souris qui a
fini par me déchirer le muscle sous-épineux de ses petites dents acides. Il me
faut maintenant utiliser ce charmant petit animal de la main gauche, qui n'a
jamais porté aussi bien son nom, en l’occurrence...
Il m'a fallu être souriante,
comme toujours, il m'a fallu être efficace, compréhensive, assertive. Gérer en
même temps de petits soubresauts personnels et tenir la barre de mon rafiot. Et
faire des tas de choses inutiles et même me prendre une avoinée par la grande
surchef parce que j'avais "oublié" une très importante enquête
administrative sans laquelle le monde aurait sûrement arrêté son absurde
manège...
Il m'a fallu lutter contre mes
larmes, me raccrocher aux branches pour ne pas sombrer. Oublier les mauvaises
ondes. Je suis épuisée. Je ne le dis pas souvent, vous avouerez, mais là, the
cup is full...
Vivement les vacances!
Vivement les vacances!
J'ai envie de me déshabiller
lentement, de m'allonger, de fermer les yeux, de sentir des bras me soulever,
des mains se promener sur moi avec des gestes experts. J'ai envie de sentir la
douceur d'une peau caresser ma peau, trouver mes points sensibles, insister
mais sans faire mal, avec délicatesse. J'ai envie de sentir des frissons me
remonter l'échine et me parcourir délicieusement le dos du haut jusques z'en
bas. J'ai envie de m'abandonner, de sentir mon souffle sortir doucement de mes
lèvres au rythme calme de ma respiration, j'ai envie de ne penser qu'au
plaisir, au bonheur de l'instant, de me laisser pénétrer par la musique, de laisser
la vague m'envahir dans une demi-pénombre. J'ai envie d'offrir à mon corps une
onde de bien-être qui fera s'envoler tous ces miasmes comme un nuage de
moucherons dans une nuit chaude au dessus de la savane.
Je vais prendre rendez-vous.
J'ai retrouvé un papier froissé
dans mon sac: "Bon pour un massage californien".
^^
^^
Photo du net |
04 octobre 2013
La Dirlette
Dirlette: N.f. (de dirlo, directeur en argot des potaches) Spécimen femelle d'une espèce particulière de fonctionnaires, appelés directeurs d'école, caractérisés par une grande capacité à régler les problèmes en majorité posés par l'administration elle-même, et en même temps par une prime mensuelle* ridiculement basse au regard des responsabilités qui leur incombent.
Dessin Jac |
Il ne vous a pas échappé que je passe le plus clair de mon temps (et aussi, parfois, le plus sombre) à diriger tant bien que mal une école élémentaire (qui est l'adjectif idoine, celui de primaire étant abusivement utilisé) Une école que j'appelle mon paquebot.
Il n'a pas échappé non plus à votre sagacité que cette tâche s'est complexifiée de plus en plus, jusqu'à en être pitoyablement comique. L'humour et la dérision sont devenus plus que jamais des armes précieuses pour se protéger de l'ulcère à l'estomac et de la dépression galopante.
Or, je découvre aujourd'hui que je ressemble à l'héroïne d'un blog humoristique, mais une héroïne plutôt tragique. Car l'auteur de ces dessins mordants et talentueux, qui croque la vie d'une dirlette optimiste malgré les taches pléthoriques et ubuesques dont l'accable l'administration, cet auteur donc connaît bien son sujet, étant lui même directeur d'école. Et c'est justement là que le bât blesse.
L'administration prône de grands principes pédagogiques ambitieux, je cite:
"l’enseignement des processus artistiques aux élèves, tout en intégrant des éléments de leur propre culture dans l’éducation, permet de cultiver chez chaque individu le sens de la créativité et de l’initiative, une imagination fertile, une intelligence émotionnelle, des valeurs morales, l’esprit critique, le sens de l’autonomie, ainsi que la liberté de pensée et d’action. "
Et pourtant la même administration vient de le punir pour son esprit critique, ses valeurs morales, son intelligence émotionnelle et sa créativité, en le destituant de ses fonctions.
Cher Jac, je suis positivement outrée. Et même horrifiée.
Elle est sympa pourtant, ta dirlette. C'est vrai que je me retrouve bien dans ses mésaventures quotidiennes au pays d'Ubu et dans sa positivité malgré les épreuves.
Et c'est vrai aussi que tout ceci se passe en 2013, dans le grand et beau pays de Voltaire, de Rousseau. Un pays où un grand nombre de hauts fonctionnaires sont à peu près aussi perméables à l'humour qu'un pittbull à qui on a pris son os. Enfonçons-nous cela bien profondément dans l'occiput.
L'infâme blog subversif, c'est ici:
http://www.dirlo.fr/jac/
Eh, les amis, si demain il m'arrivait la même chose, je pourrai compter sur vous pour mon comité de soutien ? On ne sait jamais, je pourrais être punie moi aussi...
*(187 € de part fixe mensuelle, + 75 € de part variable pour une école de plus de dix classes, il est bon de le savoir, ce qui explique que si l'on fait ça pour l'argent, on sombre rapidement dans la prostration et la déprime)
02 octobre 2013
Ne pensez à rien!
"Détendez-vous.
Faites le vide. Ne pensez à
rien."
Voilà une
injonction que j'entends depuis toujours. Régulièrement, les techniques de
relaxation à la gomme arabique commencent par ce rituel improbable. Auquel,
depuis toujours, je suis récalcitrante. Ne pensez à rien...ils en ont de
bonnes! Je ne sais pas comment vous faites, vous, mais moi, il suffit que l'on
me demande de ne penser à rien pour qu'aussitôt, une multitude de pensées se
bousculent à l'entrée de mon cerveau comme si c'était le jour des soldes.
Des pensées hétéroclites, qui ne soupçonnaient même pas, une minute
auparavant, qu'elles se nicheraient dans mon esprit. Et les voilà qui s'y
promènent avec des aises et des grâces de chat en son appartement. En se
faufilant. Et en s'enchaînant par associations comme les perles d'un
collier.J'ai beau me répéter "Rien, rien, rien, je ne pense à rien",
rien se transforme toujours en quelque chose.
"Fixez
le bout de vos chaussures" Il paraît que ça aide...Eh bien pas du tout.
Tenez, par exemple aujourd'hui, j'avais mis mes ballerines de princesse. Les rouges
avec des coeurs. Les coeurs m'ont aussitôt fait penser que j'avais un petit peu tachycardé aujourd'hui.
A la
réflexion il me semble que j'ai trop bu de café...mince, j'ai oublié de payer à
Marie-Chantal les cinq euros pour le café...Ah, j'ai aussi oublié de payer la
baguette que je devais à la boulangère, je n'aime pas laisser des dettes, il
faudra que j'y passe demain...
Tiens,
demain, j'ai déjà un rendez-vous! ah oui, je dois aller chercher des papiers
important à la Mairie. "En parlant de mairie, tu ne te présentes pas aux
municipales cette année?" m'a demandé mon copain Bob au rayon des
fruits et légumes..."le maire aurait besoin d'une bonne ratatouille!"
-"Non, cette fois-ci, les élections, très peu pour moi"...mais mmmh! quelle bonne
ratatouille nous avons mangée dimanche, réchauffé, c'est encore meilleur, mon
fils a dû se régaler avec les restes qu'il a emportés dans sa chambre
d'étudiant...pourvu qu'il pense à payer son loyer, ils ne plaisantent pas à la
cité U, c'est drôle, tout s'appelle U sur le campus, le resto U, la B.U. (Bibliothèque Universitaire), ah! oui,j'y
pense! je dois rendre mes livres à la bibli demain aussi, j'ai bien aimé le portrait de Dorian Gray,
maintenant j'ai envie de lire une femme, Colette ou pourquoi pas Beauvoir, en
voiture Simone, ah! Nina Simone quelle grande voix, j'aime découvrir des voix,
de nouveaux univers musicaux, mon ami Eeguab m'a fait découvrir une chanson qui me
trotte dans la tête, et qui me donne des frissons de la tête aux pieds, en
parlant de pieds, si je revenais à mes chaussures?
Non,décidément, avec la meilleure volonté du monde, je n'y
arrive pas. J'ai le moteur qui carbure du feu de dieu.Il tourne comme un 6
cylindres en V , 24 soupapes, une vraie horloge. Un petit bijou.
"Ne pensez à rien"... Oui oui! demain...