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Damien écrivait mal. Son graphisme incertain s’étirait en pattes de mouche ne suivant pas forcement les lignes violettes de ses cahiers d’écolier. Des cahiers toujours pleins de taches. Sa frimousse et ses mains aussi étaient toujours pleines de taches. D’encre et de peinture. Cela se mélangeait avec les minuscules points de rousseur qui étoilaient son visage autour de ses yeux verts. Entre sa main droite et sa main gauche, il n’était pas bien fixé, ne voulant faire de peine à aucune, il les utilisait en alternance.
Damien empilait chaque jour un bric-à-brac épouvantable sur son pupitre. Quand je passais entre les rangs, j’avais toujours peur de déranger le bel ordonnancement de ses constructions hétéroclites.
Damien était un rêveur. Son casier était un incommensurable foutoir où une vache n’aurait pas retrouvé son veau… Il échafaudait ses règles, ses stylos, ses gommes et ses crayons comme il échafaudait ses rêves. Ceux-ci se promenaient au fond des galaxies, ils poursuivaient des destructeurs atomiques à coup de réflecteurs spatio-temporels. Un autre jour, avec sa boite de couleurs et un carnet d’orthographe, il avait érigé un temple maudit au fond de la forêt amazonienne. Il bricolait avec trois fois rien les trésors de son imagination embroussaillée. Il collectionnait les bouts de ficelle, les billes, les boutons, les petites boîtes d’allumettes. Je le laissais faire avec un œil mi-amusé mi-bienveillant. Certes, les conjugaisons et les règles de mathématiques lui échappaient parfois, tout occupé qu’il était se retrouver dans la jungle de son désordre, et ses résultats scolaires n’honoraient pas son intelligence pratique et son génie de l’invention. Mais j’avais confiance dans ses capacités. Et puis il me prouva que l’on peut écrire comme un cochon, être « bordélique »en diable, ne pas être « scolaire » et devenir pourtant artiste et professeur aux Beaux Arts de Lyon.
De nos jours, un enfant comme celui-là est "en difficulté" ; on convoque une équipe éducative, on saisit la MDPH*, on met l’enfant dans les mains de spécialistes de tous poils, ergothérapeutes, orthoptistes, on diagnostique une dyspraxie, une AVS* assise à côté de lui,range ses affaires et copie ses leçons à sa place. A moins qu’il n’ait droit à un ordinateur. Plus de place alors pour les bricolages inventifs, ceux qui développèrent les facultés créatrices de Damien.
Oui, de nos jours, la vie est dure pour les bricoleurs en herbe aux yeux rêveurs et aux doigts sales...
Je repense souvent à Damien et à sa tignasse de foin séché. Et je me demande si le progrès a toujours du bon.
*MDPH Maison des Personnes Handicapées
*AVS Auxiliaire de Vie Scolaire
Pour le défi du Samedi