"Non mais tu vas tout de même pas écouter ça! C'est moisi comme musique!"
Les ados choisissent leurs mots d'une façon judicieuse, somme toute. Une musique moisie, c'est, disons-le, comprenons-le bien, nous les adultes un peu demeurés qui ne connaissons rien à la musique, un mélange de vieillot, de ringard et de malodorant qui figure la vieille cave humide, le vinyle sorti tout droit d'un grenier, soulevant quand on le saisit un petit tchernobyl de poussière qui ferait éternuer un troupeau de mammouths. Tournant impérieusement le bouton de l'autoradio malencontreusement resté branché sur Nostalgie, il me fait comprendre que ses pauvres tympans ne sauraient endurer plus longtemps ce supplice auditif: une chanson de Jean Ferrat sur un texte d'Aragon, "Heureux celui qui meurt d'aimer" Actuel. Eternel.Sublime!
"D'aimer si fort ses lèvres closes Qu'il n'ait besoin de nulle chose..." C'est beau, non?-C'est moisi.
Boby Lapointe?
-moisi.
Barbara, Léo Ferré!
-moisis.
-Gainsbourg, quand même!
-mouif...
Et même , o crime impardonnable, Francis Cabrel, mon modèle absolu , l'homme à la voix si juste, aux mots si magnifiques , ne trouve grâce à ses oreilles intransigeantes.
-Bon là, d'accord,tu as raison: Sheila, Enrico Macias, Michèle Torr, on peut dire que ça sent le moisi...
Et puis soudain, l'embellie: Dire straits, Supertramp, U2, le son de mes vingt ans, et le mot moisi reste figé sur ses lèvres arrondies en cul de poule. Il aime!
-Non, pas possible? Ce n'est point moisi!
Ah quelle jouissance absolue de soudain trouver un terrain d'entente musical avec ma progéniture.
-Ca au moins, c'est de la bonne zique! murmure-t-il avec un air de connaisseur.
-Oui, moderne hein? Ca n'a que trente ans...réponds-je le regard lointain.
Il est vrai que le diamant, ça ne moisit pas.