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28 avril 2023

La sagesse est dans le pré

 

“Il pousse plus de choses dans un jardin que n'en sème le jardinier.”
Proverbe espagnol






On tente souvent d'écrire des choses bien plus grandes que soi. Parce que le jour naissant nous porte vers le haut, le mystère, les incompréhensions qui font le sel, et rendent humble.
Quand c'est trop lisse, trop clair, c'est comme un ciel sans nuages. Trop convenu. Aveuglant. 
On aime la pluie des questions profondes. De celles qui sont essentielles et sans réponses. Les pourquoi. Les comment. 
Les points des coccinelles. Le chemin des abeilles.
La patience originelle des fleurs, qui savent quand vient leur tour. Comment, d'un tronc noueux de vieillard végétal, en apparence sec et mort comme le vieux hareng du poème, surgissent soudain ces bourgeons qui bredouillent, et ces corolles fragiles. Fragiles ? Ne tiennent-elles pas dans leur coeur cette force étrange qui fait germer les graines au fond d'un vieux sac ?
Il suffit de s'asseoir dans un jardin, aux premiers rayons, et c'est tout le livre du monde qui ouvre ses pages infinies. On comprend. On apprend.
 Chaque recoin contient une lecture particulière, une révélation unique. Le jeu de l'ombre et de la lumière, c'est l'alternance que l'on doit accepter, entre les heures tristes et les jours de joie, les cris, les larmes et les murmures, comme une chevauchée sans fin de collines pierreuses, de pics acérés et de vallons riants.
Les animaux bravant la bourrasque nous apprennent le courage. Leurs pattes frêles, leurs plumes ébouriffées, leurs pelages trempés ne les distraient pas de leur insouciance et de leur détermination à rester en vie coûte que coûte.
Un jardin rend toujours meilleur. J'en connais la chance.
L'herbe se peint d'espoir. Rien n'est plus serein que ces tiges qui oscillent et ondulent sous le vent d'avril. De vraies ailes s'accrochent à nos rêves. 
Et dans cette béance entrouverte au fond de soi, on plante ses doigts dans la terre humide, on hume son odeur, et on remercie le merle pour son chant.



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18 avril 2023

Lettres de Catalogne (5)


Des peuples fiers




En marchant dans le campo au-dessus du delta, tel Sylvain Tesson sur ses chemins noirs, je pensais à cette fierté superbe qui caractérise certains peuples. Les Basques, les Corses, les Bretons. J'aurais pu tout aussi bien dire les Masaï, les Quechuas, ou les Aborigènes. Jamais tout à fait convaincus de l'unicité de la république dans laquelle on a voulu les impliquer. Toujours un peu arc-boutés sur leur identité, cultivant leur différence. 
Qu'est-ce qui fait que certains groupes d'être humains se sentent reliés par la même appartenance, de façon aussi impérieuse ? Qu'est-ce qui fait un peuple, au fond ? 
Cela va au-delà d'une langue ou de traditions communes. C'est au-delà des coalitions, des fédérations, des empilements arbitraires de nations. L'exemple de l'Ex-Yougoslavie est éloquent, à ce titre. Les peuples sont ressortis indemnes de décennies de compromis qui leur semblaient contre-nature, comme un bric-brac mal empilé de sensibilités trop différentes.
On touche à l'histoire profonde, aux souffrances ancestrales, à des événements qui ont mené au fil des siècles à ce bouillonnement dans les veines, identique sous toutes les latitudes. Que rien ne peut endiguer. 
Les Catalans sont de ceux-là. Attachés viscéralement à leur terre.
A Elne, à deux pas de Collioure et de son port nimbé de lumière, Georges est de ceux-là. Un Catalan fougueux, indomptable, courageux. Fier de ses racines. 
Je suis toujours mitigée quand il s'agit de définir ma propre appartenance : certes, j'aime le pays où je vis, ses paysages, sa langue, ses Lumières qui ont éclairé le monde. J'ai passé ma vie à enseigner cette langue de Voltaire, à aimer ses mots chatoyants et évocateurs. Sa musique. Son message. J'aime aussi mes racines, celtes ou piémontaises. Pourrais-je aller vivre ailleurs, comme Elyane ? Je ne sais pas. Peut-être. 
Mon vrai pays, c'est la Terre. C'est sur elle que je me sens ancrée. La Nature sauvage et belle. Le ciel et les étoiles. Et l'Humanité dans ce qu'elle a de grand et d'universel. Je me sens vraiment citoyenne du monde. Et ce n'est pas qu'une expression galvaudée. Mon pays c'est la Vie. 




Quelques dernières photos éparpillées...












Un dernier bisou devant « El Beso » de Joan Fontcouberta,
une fresque monumentale représentant un baiser, et formée de milliers de photographies de baisers.
Merci pour vos commentaires, lecteurs adorés. Votre fidélité me touche.







16 avril 2023

Lettres de Catalogne (4)

 Un jour couleur d'orange







Un matin, Elyane et Jack nous emmènent chez un producteur d'oranges. Je ferais mieux de dire un amoureux des oranges. Un homme qui bichonne ses arbres, leur parle, et les respecte : ce sont les clients qui viennent cueillir les fruits eux-mêmes. Aucun traitement chimique, juste de l'eau, du soleil et de l'amour.
 Je n'en avais jamais vu autant. En quelques minutes, nous avons rempli de pleins paniers d'oranges énormes, juteuses, gonflées de sucre et de lumière.
Pourtant, dans ce verger, c'est surtout le parfum des fleurs qui m'a saisie. 
J'étais soudain au jardin des délices, en fermant les yeux, il m'a semblé entendre la douce mélopée du oud frémir comme le vent dans les branches. 
Cette odeur si tenace de fleurs d'oranger m'a percutée, telle la madeleine, dans les replis de mon enfance. C'était ce liquide subtil que ma mère conservait dans une bouteille en verre bleu, et qu'elle versait dans la pâte à crêpes. C'était aussi, par extraordinaire, l'odeur des cheveux de ma grand-mère. De sa chemise au col de batiste. C'était encore le goût suave de ce breuvage magique que préparait mon père pour soigner les petits bobos. Je crois qu'il soignait surtout les bobos de coeur, et faisait disparaître les larmes. 
En un instant, enfouissant mes narines, les yeux fermés, dans ces fleurs entêtantes, j'ai retrouvé mes six ans.
Les voyages recèlent parfois des escales sensorielles ou spatio-temporelles inattendues.

A suivre ...













12 avril 2023

Lettres de Catalogne (3)

 Un désert




 A cet endroit, le fleuve a entassé, au fil du temps, une longue bande de sédiments formant comme une barrière naturelle protégeant la lagune.
Le phare del Fangar ponctue cette immensité sableuse de ses couleurs presque psychédéliques.
J'ai marché, longtemps, d'abord en suivant le bord de l'eau, jouant pieds nus avec l'écume froide, puis en revenant par l'intérieur. Et là, j'ai été happée par le paysage. Une immensité à perte de vue, c'est très impressionnant. La pensée se focalise sur la minéralité absolue du lieu. La méditation arrive toute seule. La réflexion sur le sens de la vie, le temps, le rapport aux choses. C'est sans doute, toutes proportions gardées, ce que l'on doit éprouver dans le désert. Le sentiment de n'être qu'un grain de sable de plus. De ne faire qu'un avec le ciel, et les vagues de dunes. D'être à la fois essentiel et dérisoire.
Des pancartes posées au milieu de nulle part rappellent au promeneur solitaire que le domaine est par endroit interdit, pour cause de nidification. Je me suis demandé où nichaient les oiseaux dans cette étendue sans végétation. Sans doute dans les quelques oyats surgissant du sol comme des touffes de cheveux rares sur le crâne d'un chauve. Parfois, j'ai aperçu en effet les traces de leurs petites pattes dans le sable.
Quant aux ondulations provoquées par le vent, elles m'ont rappelé ces jardins japonais que les maîtres zen ratissent avec minutie.
Cet endroit est une leçon de métaphysique, de philosophie, bref, de Vie.

A suivre...





























09 avril 2023

Lettres de Catalogne (2)

Chez Elyane 




Mon amie Elyane a réalisé un rêve : elle vit désormais là-bas, dans le campo au-dessus du Delta de l'Ebre. Au milieu d'extraordinaires oliviers centenaires, et pour certains, millénaires.
J'admire beaucoup les gens qui poursuivent leurs objectifs jusqu'à en faire des réalités : il faut une telle énergie, un tel courage, pour abattre ces montagnes qui se dressent fatalement entre nous et nos rêves. Elle l'a fait. Elle en est fière et je la comprends. Elle a quitté la France, sa vie, ses habitudes, pour vivre en harmonie avec ce rêve.
Sa maison est un îlot de paix, très blanche et cernée de verdure. Les chats s'y prélassent parmi les figuiers de barbarie, les lauriers et les plantes succulentes. Aloès, yuccas, aéoniums pourpres y forment des massifs étonnants.  La piscine n'est qu'un écho à la mer toute proche. L'endroit est un hymne à la Méditerranée. A cette faculté qu'a la nature, d'adaptation à ce milieu sec, brûlant, hostile en apparence. Avec génie, avec inventivité, les couleurs explosent. Elyane fait revivre ce désert de pierre, à coup d'amour, à coup de coeur. Chaque fleur est une victoire. 
Au-dessus de la maison principale, timide sous les oliviers, se cache la casita, un minuscule abri de pierre où elle aime se retirer pour écrire ou méditer. 
Elle s'est fait beaucoup de nouveaux amis. 
C'est là qu'un soir, se sont retrouvés sous le grand olivier quelques uns de ces amis venus l'écouter parler de ses Chemins de Lumière. J'ai accompagné la lecture de ses textes avec ma guitare. C'était doux, comme hors du temps, dans la lueur orange du couchant sur les murets de pierres sèches 
J'ai adoré ce moment. 


 A suivre ...
















07 avril 2023

Lettres de Catalogne (1)

 


Le soir descend lentement sur Barcelone. Hier soir, la lune, belle orange juteuse accrochée à son plafond de nuages, scintillait au-dessus de l'eau. C'était somptueux.



Ici, à Allela, on n'entend pas la rumeur de la belle Catalane. Rien ne trouble la paix de ce lieu. Je t'écris d'un de ces balcons sur la mer que l'on ne trouve que dans un livre.  Ou dans un film.
Une maison-navire accrochée à des vagues de pins couronnant les collines.
Tout à l'heure nous irons déguster des tapas à Vilassar de Mar. Des artichauts grillés, des beignets d'aubergine, des anchois blancs, des patatas bravas.
Ici on vit différemment. Ce n'est pas un cliché, cette fameuse heure espagnole. C'est une sorte de contrat tacite que les anciens d'ici ont passé avec Saturne, le Dieu horloger. On dort, mais pas comme tout le monde. On ferme les yeux quand on est épuisé d'avoir trop fait la fête. On récupère par des siestes qui se posent sur nos yeux comme des papillons. A n'importe quelle heure.
Ce qui rythme la vie, c'est cette musique lancinante de guitare qui suit vos traces, partout, du quartier gothique à la Rambla, en passant par le port Vell et la Plaça de la Catalunya.
Ce n'est pas anodin de se trouver là au moment de la semaine sainte. Au pays d'Isabelle la Catholique, la ferveur est une réalité.
Je l'ai vu dans les yeux de cette vieille femme qui murmurait le credo à la cathédrale Santa Creu. A chaque prière, elle faisait un noeud à un petit lacet blanc, le transformant ainsi en chapelet. Ses yeux étaient transparents à force d'être pâles. Elle était peut-être aveugle, comme sa foi.

A suivre...